jeudi 6 décembre 2012

Pour un monde plus égalitaire : Dans quelles conditions partage-t-on les billes ?



Victor Ginsburgh

Les chercheurs de l’Institut Max Planck d’Anthropologie Evolutionniste viennent de procéder à une expérience singulière qui devrait nous inspirer (1).

Deux jeunes enfants sont mis chacun devant un godet et font face à un appareil qui contient des billes qu’ils peuvent voir. De chaque côté de cet appareil pend un morceau de corde qui actionne (ou n’actionne pas) la chute des billes dans les deux godets. Lorsqu’un seul des deux enfants tire sur la corde, rien ne se passe. Mais s’ils tirent en même temps, les billes se mettent à tomber dans les godets : une bille dans l’un, et trois dans l’autre. Cette expérience est répétée un certain nombre de fois et montre que dans 75% des cas, les enfants finissent pas se répartir les billes : ou bien celui qui est « riche » de trois billes en donne spontanément une au « pauvre » qui n’en a reçu qu’une seule, ou bien le pauvre demande une bille au riche qui la lui donne sans difficulté. Un monde égalitaire qui pourrait se perpétrer, sauf que...

Dans la deuxième expérience, les conditions sont les mêmes, à ceci près que les billes sont déjà présentes dans les godets, une chez l’un des enfants et trois chez l’autre, sans qu’aucun ne doive faire l’effort de les y amener. Ici, celui qui a reçu trois billes est prêt à en donner une au pauvre dans 5% des cas seulement.

Dans une troisième expérience, il faut à nouveau faire tomber les billes, sauf que les deux cordes ne sont pas solidaires. Celui qui tire sur sa corde, voit arriver sa ou ses billes, une chez l’un, trois chez l’autre. La différence est qu’ici il y a effort, mais pas collaboration comme dans la première expérience, et les enfants le comprennent évidemment. Ils partagent cependant les billes dans 30% des cas.

La collaboration dans l’effort semble mener au partage plus souvent que dans les deux autres situations. Cependant, les mêmes expériences faites avec des chimpanzés montrent qu’il n’y a jamais partage a posteriori.

Pour expliquer ces résultats troublants, les chercheurs de l’Institut Max Planck font l’hypothèse que l’évolution aurait amené les humains à collaborer. Il y a quelque 500.000 ans, notamment lors des chasses et des cueillettes, ils se seraient rendus compte que la collaboration produisait des résultats supérieurs ; des relations stables entre individus se seraient ainsi forgées, pour autant que les « gains » soient partagés : un individu ne peut pas en « rouler » un autre si tous deux savent que la situation (ou le jeu)  sera « répétée ».

N’y aurait-il dans ce monde actuel plus personne qui veuille aller cueillir des cerises avec nous ?

(1) L’expérience est décrite dans Jonathan Haidt, How to get the rich to share the marbles, New York Times, 20 février 2012.

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