Pierre
Pestieau
Nous
savons tous que nos états ne font pas toujours le meilleur usage de notre
argent. Il existe de nombreuses études mesurant l’efficacité des services
publics dans des cas particuliers, par exemple, les transports urbains, ou les
agences d’emploi. La question à mille euros est comment mesurer et comparer
l’efficacité de nos états. Pour des raisons diverses, cette tâche est délicate.
Il y a la difficulté due à l’agrégation et celle d’appréhender tous les
facteurs mis en œuvre pour permettre aux états de remplir leurs missions. Pour
prendre un seul exemple, juger de la performance d’un état dans les domaines de
la santé et de l’éducation en ne considérant que les seules dépenses privées et
publiques et faisant abstraction de la culture familiale ambiante, du climat et
de la localisation ne peut mener qu’à des résultats sans beaucoup de pertinence.
Cela n’empêche pas d’aucuns de procéder à cet exercice le plus souvent pour
blâmer les états pour leur inefficacité.
Il y a peu, quatre économistes
(1) apparemment sérieux ont abordé le problème d’une manière encore plus
cavalière que de coutume. Leur
objectif : mesurer l’efficacité de la chose publique dans 159 pays,
excusez du peu. Le truc : envoyer dans ces pays une dizaine de lettres à
des adresses inexistantes avec l’adresse de l’expéditeur américain bien en
évidence. La conjecture : les pays efficaces sont ceux qui renverront ces
lettes dans le plus bref délai avec la fameuse mention « Inconnu à cette
adresse », par ailleurs titre d’un petit roman qu’il faut avoir lu avant
de mourir (2). Par ricochet, les pays inefficaces seront ceux qui ne les
réexpédieront pas ou seulement quelques-unes et ce avec des délais hors limite.
Résultats : 16 pays, pour la plupart africains plus le Tadjikistan, le
Cambodge et la Russie, n’ont réexpédié aucune lettre ; 60% des lettres ont
été retournées à leur expéditeur avec un retard moyen de plus de six mois. Seul
21 pays ont renvoyé les dix lettres ; on compte parmi eux le Canada, la
Norvège, l’Allemagne, le Japon, l’Uruguay, les Barbade et l’Algérie. Quatre
pays les ont renvoyées endéans les trois mois : les Etats Unis, la
Tchéquie, le Luxembourg et le Salvador. Seuls pays qui méritent de figurer au tableau d’honneur.
J’en reste là ; je ne ferai pas l’injure au
lecteur de relever toutes les raisons pour lesquelles l’indicateur ainsi développé
n’a rien avoir avec une mesure de l’efficacité du secteur public dont nous
aimerions disposer. Tout au plus nous renseigne-t-il sur les pratiques des
services postaux de différents pays à l’égard de courriers expédiés à des
adresses inexistantes par une société américaine. Je n’utiliserais certainement
pas cet indicateur pour juger de la performance des services postaux, a fortiori
pour évaluer l’efficacité de l’ensemble des services publics concernés.
(1) Alberto Chong, Rafael La Porta, Florencio Lopez-de-Silanes, et Andrei Shleifer (2012), Letter Grading Government
Efficiency, NBER Working Paper No. 18268.
(2) Inconnu à cette
adresse
est un livre de Kathrine Kressmann Taylor, écrit sous le nom de Kressmann Taylor et il publié pour la première fois dans sa version
intégrale dans Story Magazine en 1938 aux États-Unis.