Victor Ginsburgh
On a bien trop peu parlé dans la presse d’une étude
qui s’est intéressée à l’influence des changements climatiques sur la violence
et les conflits et qui a paru dans la rubrique « surprising science »
sur le site web de la Smithsonian Institution. La radio belge quant à elle, a
interviewé un « sçavant » (du style des Femmes Sçavantes de Molière) qui
expliquait que tout cela était connu des « sçavants » depuis bien longtemps.
Bien sûr, on a souvent parlé des conséquences du
changement climatique sur la montée des mers ou la désertification qui
engendrent des migrations, des réductions de terres arables, et des augmentations
de prix des aliments. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici.
Voici ce qui a été écrit à ce sujet dans deux
articles récents publiés dans Science
(1) et dans Nature (2). Les auteurs
des deux études ont procédé à un examen (que l’on qualifie de méta-étude) de
quelque 60 articles et livres scientifiques sur la question. Ces études
convergent vers le même résultat, à savoir que quelle que soit la région du
monde et l’époque (et ils remontent à 10 000 ans avant notre ère), le
changement climatique est non seulement corrélé
à la violence, aux conflits et à l’instabilité politique, mais est aussi une cause (pas la seule) de ces phénomènes,
y compris entre 1950 et aujourd’hui.
Dans ces articles, on ne compare pas deux régions
ou deux époques différentes, on compare les effets d’une variation climatique
de courte durée à deux moments différents mais pas très éloignés l’un de
l’autre et dans la même région. L’article paru dans Nature (2) illustre parfaitement le propos. Les auteurs y comparent
les effets de El Niño (courant chaud) et de
La Niña (courant froid) dans les tropiques.
Ce ne sont pas des courants liés au réchauffement global actuel, puisqu’ils
existent probablement depuis plusieurs millénaires. Ces deux courants marins
qui oscillent dans le temps naissent sur la côte ouest de l’Amérique du Sud et provoquent
des perturbations atmosphériques accompagnées de désastres naturels tels que sécheresses,
inondations et cyclones (3). L’article montre qu’entre 1950 et 2004, la
probabilité d’apparition d’une nouvelle guerre civile (4) dans les tropiques double durant les années El Niño
par rapport aux années La Niña,
et que El Niño est très vraisemblablement la cause de quelque 20% des guerres
civiles depuis 1950. Dans son ouvrage paru en 1999, l’archéologue Brian Fagan
remonte à l’antiquité pour expliquer la chute de certaines civilisations et
certains changements culturels qui pourraient avoir été provoquées par El Niño (5).
Il
vaut mieux ne pas penser aux effets du changement climatique. Si les prévisions
actuelles se vérifient et que la planète subit une augmentation de température
de 2° Celsius seulement—ce qui est optimiste puisqu’on parle aujourd’hui de
4°C—, les crimes entre personnes pourraient augmenter de 16% et les guerres
civiles de 50% (6). Les Niños et Niñas ne sont après tout que des enfants (de
chœur) et les ours polaires ne seront pas les seuls à avoir des problèmes.
(1)
Solomon Hsiang, Kyle Meng and Mark Kane , Quantifying the influence of climate
on human conflict, Sciencexpress,
August 1, 2013 http://www.sciencemag.org/content/early/recent
(2)
Solomon Hsiang, Kyle Meng and Mark Kane, Civil conflicts are associated with
the global climate, Nature 476
(2011), 438-441.
(3) Si
vous voulez en savoir plus sur ces courants, voyez http://www.pmel.noaa.gov/tao/elnino/faq.html
(4)
Est défini comme guerre civile une dispute entre le gouvernement et un parti
politique qui a fait au moins 25 morts. Une telle dispute est
« nouvelle » si elle apparaît au moins deux ans après le dernier
événement similaire.
(5)
Brian Fagan, Floods, Famines and
Emperors: El Niño and the Fate of Civilizations, New York: Basic Books,
1999.
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