Pierre Pestieau
Prenez un couple de retraités qui disposent d’un certain patrimoine.
Peut-il disposer de ce patrimoine à sa guise? Rien n’est moins sur. D’autres qu’eux
peuvent penser qu’ils ont un certain droit sur leur patrimoine. L’Etat d’abord
qui prélèvera des droits de succession à leur mort ou même plus tôt s’ils
procèdent à des donations de leur vivant. Et puis il y a les enfants qui
peuvent penser qu’ils y ont droit, d’autant plus qu’ils ont des difficultés
financières.
Deux exemples, l’un tiré d’un film récent et l’autre de plusieurs
situations vécues. Je ne me souviens plus du film mais bien de la séquence. Un
petit bistrot parisien; un père et sa fille déjeunent. Le père est un septuagénaire
encore vert; il est visiblement financièrement à l’aise. Sa fille a trois
enfants et un revenu décent mais donne l’impression de tirer le diable par la
queue. D’où sa réflexion. « Papa, n’est-ce pas injuste que tu vives
encore. Si tu mourrais j’hériterais de ton patrimoine et toutes mes difficultés
financières disparaitraient ». Ce à quoi le père répond en utilisant un
argument de responsabilité. Elle a choisi de vivre comme elle vit.
L’autre exemple est celui de cet ami qui réussit après de nombreuses
tentatives infructueuses à placer ses parents dans une maison de soins de bon
standing. Cela s’imposait parce que physiquement et mentalement ils ne
pouvaient plus vivre seuls. Informant ses frères et sœurs du coût de cette
maison, il est surpris et choqué par leur hostilité à ce choix. « Pourquoi
pas une maison moins chère qui n’aurait pas entamé le patrimoine familial sur lequel
nous comptions à la mort de nos parents ? »
Ce ne sont là que des anecdotes ; elles représentent cependant une
certaine réalité. Pas la seule, car le cas le plus courant est celui de parents
qui se sacrifient, se saignent à blanc, pour venir en aide à des enfants, qui n’en ont pas
nécessairement besoin. De nombreux travaux l’ont montré, l’altruisme descendant
est plus intense que l’altruisme ascendant et les transferts descendants
nettement plus élevés que les transferts ascendants. Cette asymétrie explique
le rôle des pouvoirs publics dans les retraites et les soins de santés, qui
représentent des transferts ascendants.
Pendant les décennies de croissance prolongée, la norme était que les
enfants vivaient plus confortablement que leurs parents ; dans ces
circonstances, les legs étaient bienvenus mais ne paraissaient pas
indispensables d’autant plus qu’ils avaient lieu lorsque le légataire avait
dépassé la cinquantaine. Avec le prolongement de la crise, il est fréquent que
les enfants aient une vie moins confortable et surtout plus précaire que leurs
parents. C’est dans ces circonstances que les héritages et surtout les
donations sont les bienvenus. Et c’est dans ce contexte que des enfants peuvent
se mettre à penser que leurs parents manquent de générosité à leur égard.
Ajoutons que certaines législations prévoient ces situations en incluant
explicitement un devoir d’aide des parents à l’égard de leurs jeunes enfants mais
aussi des enfants à l’égard de leurs vieux parents. L’exemple de Tanguy, un
enfant qui frise toute de même la trentaine et qui menace de traîner ses
parents devant les tribunaux, est encore dans les mémoires. Que je sache, il
n’existe pas d’obligation légale des parents à l’égard de leurs enfants adultes.
Il y a bien sûr dans de nombreux pays l’obligation de léguer son patrimoine à
ses enfants et ce, de façon égalitaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire