Pierre Pestieau
J’ai lu ces derniers jours deux textes fort intéressants
par deux de nos meilleurs économistes. Il y a d’abord le livre grand public de
Jean Tirole (1), qui s’est fait violence pour expliquer à tout honnête homme sa
conception de l’économie. Il y ensuite la longue interview que Jacques Drèze a
récemment donnée au Soir (2).
Dans un chapitre qui n’est sans doute pas le meilleur de
son ouvrage par ailleurs excellent (3), Jean Tirole discute du rôle de l’économiste
dans la société. Il comprend que l’économiste doive descendre de sa tour
d’ivoire pour mieux appréhender la réalité, pour compléter un salaire jugé
insuffisant ou par attirance messianique ou narcissique pour les médias. Tout à
la fois, il insiste sur les dangers de ces mélanges de genres.
Dans son interview
Jacques Drèze déplore l’aveuglement des économistes américains,
particulièrement celui de Lucas et de Prescott, deux économistes renommés et
influents, qui se refusent au nom d’une conception ultralibérale de reconnaître
qu’une partie du chômage dont souffre l’Europe du sud est involontaire. Cette
vision des néolibéraux mise tout sur les marchés pour atteindre l’efficacité et
de là le plein emploi dans lequel tout chômage est volontaire. Jacques Drèze
pense au contraire que de tels marchés n’existent pas. Dans la foulée, il plaide pour la mise en œuvre à l’échelon
européen d’un plan d’investissement de 2.000 milliards d’euros, ciblant en
particulier les pays les plus frappés par la crise. Ce plan s’il était jamais
adopté par l’Union Européenne relancerait l’emploi au bénéfice de tous les pays
membres.
Même si Jean Tirole ne s’adresse pas directement à cette
question, il ne manquerait pas d’être gêné aux entournures dans la mesure où il
plaide pour une économie dans laquelle il y aurait consensus. Pour lui, ce
consensus serait le gage de son caractère scientifique.
Comme le montre ce débat
sur les politiques macroéconomiques, il y a, en économie, des sujets sur
lesquels il n’est pas possible d’avoir l’unanimité, ce qui n’implique pas qu’ils
puissent être traités avec rigueur. Cela me rappelle une étude que Victor Ginsburgh
et moi même avons menée avec quelques collègues sur ce que pensaient les
économistes. La conclusion en était que sur des sujets microéconomiques,
souvent techniques, l’unanimité prédomine alors que sur les sujets
macroéconomiques il y a des divergences qui épousent l’échelle gauche droite
(4). Cette étude date de Mathusalem (1983) mais garde toute sa pertinence.
(1) Economie
du bien commun, Paris : PUF, 2016
(2) Le
Soir, 2 juin 2016.
(3) Dans le dernier Obs, il figure déjà en troisième position dans la liste des
meilleures ventes.
(4) B. Frey, V. Ginsburgh, P. Pestieau, W.
Pommerehne and F. Schneider,
Consensus, dissension and ideology among economists in various European
countries and in the U.S., European
Economic Review 23 (1983), 59-69.
On pourrait dire qu'avec Jean : tout le monde travaille mais les salaires sont tellement bas que les conditions de vie sont à la limite du supportable et qu'avec Jacques,la pression fiscale et l'inflation sont telles que les conditions de vie sont à la limite du supportable.
RépondreSupprimerAlain Tonnet
Si on s'efforce à mettre le plus de monde au travail mais que dans le même temps on automatise, informatise, robotise tout de plus en plus... Ne sommes-nous pas là en plein dans une abbération mathématique?
RépondreSupprimerSans croissance, notre économie s'écroulerait. D'où cet acharnement à toujours vouloir produire plus de biens et de services. Cette croissance dope l'emploi quand il n'est pas transformé en tâches automatiques. Question: sans un changement de paradigme, quels sont les risques d'une telle course à la croissance? Il ne peut y avoir production de biens et services en quantité infinie quand même ?