mardi 14 juin 2016

La mondialisation, un coupable bien commode

Pierre Pestieau

Très souvent, les dérapages et les lacunes de l’Etat providence sont attribués à la mondialisation. Coupable rêvé des ses propres manquements. Le marché n’est d’ailleurs pas de reste. Il est tellement facile d’imputer à cette hydre sans tête des défaillances de gestion.

Des l’abord, il faut reconnaître que derrière ce terme de  mondialisation, on empile toutes une série de concepts : la mobilité des facteurs et la concurrence fiscale qui contraint l’Etat à des taux d’imposition plus faibles que ce qui semblerait souhaitable, les pratiques d’évasion et de fraude fiscales qui sont facilitées par la financiarisation de nos économies, l’immigration légale ou clandestine, le dumping social, l’incapacité de l’Europe à se doter d’une autorité qui puisse coordonner les politiques sociales et fiscales.

Quelque soit l’acception du terme « mondialisation », la question demeure la même : que faire devant ce phénomène qui s’impose à nous ? Au même titre que les inondations qui viennent de frapper nos contrées. Dans les deux cas, on peut certes trouver une part de responsabilité des hommes (réchauffement climatique dans un cas, signature naïve de traités libéraux dans l’autre). Mais pour l’essentiel, la responsabilité de ces phénomènes nous échappe ; en d’autres termes, nous n’aurions pas pu les éviter.

Dans la pratique récente, je vois quatre types de réaction, voire de posture face à la réalité de la mondialisation: la rejeter et se replier sur soi-même, s’en réjouir sous prétexte qu’elle coupe les ailes d’un Etat Léviathan, proposer des théories qui présupposent une coopération de l’ensemble des pays et plus particulièrement des partenaires européens, s’en accommoder et tacher de mener une politique de justice et de protection sociale avec les moyens du bord.

Passons en revue ces quatre réponses ; je ne cache pas que la quatrième a ma préférence, même s’il m’arrive de céder à la facilité de la troisième. Il y a d’abord la position protectionniste, isolationniste, souverainiste que l’on trouve le plus souvent dans les partis de gauche et de droite radicales. Elle demeure théorique dans la mesure où elle concerne des partis qui sont dans l’opposition. Elle se traduit par un rejet de l’Euro et de l’Union européenne ainsi que de tous les accords libéralisant les échanges internationaux. Il y a ensuite la position néolibérale qui ne s’affirme que rarement de façon ouverte sauf peut être dans le chef des partisans du Brexit. Pour eux, la mondialisation est une bonne chose dans la mesure où elle permet une concentration de la richesse toujours croissante.

La troisième position consiste à reconnaître les limites de la mondialisation mais de vivre avec l’espoir naïf que très rapidement les pays comprendront qu’il y va de leur bien de coopérer et de s’entendre sur une série de mesures. Je rangerais dans cette catégorie les proposition récentes de Thomas Piketty qui propose un cadastre mondial des fortunes et un impôt sur le capital qui s’imposerait à tous les pays, ou encore, l’idée de Jacques Drèze de convaincre les partenaires européens de lancer un investissement massif dans l’ensemble de l’Union afin d’y relancer l’activité. On pourrait aussi mentionner la Taxe Tobin, la transparence financière internationale et pourquoi pas une allocation universelle à l’échelle planétaire. J’ai beaucoup de sympathie pour ces idées et je crois qu’il faut les défendre. Demeure la seule vraie question du réalisme.


Cela me conduit à la quatrième position, une position pragmatique et qui peut se résumer ainsi : comment reformer l’Etat providence soumis aux risques de la mondialisation sans se renfermer sur soi-même, ni sans cesse attendre l’Arlésienne d’une coopération internationale ? Les Etats modernes ont encore de nombreux pouvoirs mais hésitent à s’en servir et préfèrent blâmer la mondialisation afin de ne pas remettre en cause les privilèges des uns et des autres, pour des raisons de caste ou des raisons électorales. Quelques exemples : une réforme de l’impôt sur le revenu qui conduirait à la suppression des niches fiscales, à un élargissement de l’assiette fiscale et éventuellement à une baisse des taux tout en maintenant la progressivité de l’impôt ; une gestion plus efficace du secteur public, une meilleure régulation des banques. En d’autres termes, même dans le cadre contraint de la mondialisation, les pouvoirs publics gardent une marge de manœuvre importante. Encore faut-il l’utiliser à bon escient.

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