Pierre Pestieau
Très souvent, les dérapages et les lacunes de l’Etat providence sont
attribués à la mondialisation. Coupable rêvé des ses propres manquements. Le
marché n’est d’ailleurs pas de reste. Il est tellement facile d’imputer à cette
hydre sans tête des défaillances de gestion.
Des l’abord, il faut reconnaître que derrière ce terme de mondialisation, on empile toutes une série
de concepts : la mobilité des facteurs et la concurrence fiscale qui
contraint l’Etat à des taux d’imposition plus faibles que ce qui semblerait
souhaitable, les pratiques d’évasion et de fraude fiscales qui sont facilitées
par la financiarisation de nos économies, l’immigration légale ou clandestine,
le dumping social, l’incapacité de l’Europe à se doter d’une autorité qui
puisse coordonner les politiques sociales et fiscales.
Quelque soit l’acception du terme « mondialisation », la question
demeure la même : que faire devant ce phénomène qui s’impose à nous ?
Au même titre que les inondations qui viennent de frapper nos contrées. Dans
les deux cas, on peut certes trouver une part de responsabilité des hommes (réchauffement
climatique dans un cas, signature naïve de traités libéraux dans l’autre). Mais
pour l’essentiel, la responsabilité de ces phénomènes nous échappe ; en d’autres
termes, nous n’aurions pas pu les éviter.
Dans la pratique récente, je vois quatre types de réaction, voire de
posture face à la réalité de la mondialisation: la rejeter et se replier
sur soi-même, s’en réjouir sous prétexte qu’elle coupe les ailes d’un Etat Léviathan,
proposer des théories qui présupposent une coopération de l’ensemble des pays
et plus particulièrement des partenaires européens, s’en accommoder et tacher
de mener une politique de justice et de protection sociale avec les moyens du
bord.
Passons en revue ces quatre réponses ; je ne cache pas que la quatrième
a ma préférence, même s’il m’arrive de céder à la facilité de la troisième. Il
y a d’abord la position protectionniste, isolationniste, souverainiste que l’on
trouve le plus souvent dans les partis de gauche et de droite radicales. Elle demeure théorique dans la mesure où elle concerne des
partis qui sont dans l’opposition. Elle se traduit par un rejet de l’Euro et de
l’Union européenne ainsi que de tous les accords libéralisant les échanges
internationaux. Il y a ensuite la position néolibérale qui ne s’affirme que
rarement de façon ouverte sauf peut être dans le chef des partisans du Brexit. Pour
eux, la mondialisation est une bonne chose dans la mesure où elle permet une
concentration de la richesse toujours croissante.
La troisième position consiste à reconnaître les limites de la
mondialisation mais de vivre avec l’espoir naïf que très rapidement les pays
comprendront qu’il y va de leur bien de coopérer et de s’entendre sur une série
de mesures. Je rangerais dans cette catégorie les proposition récentes de
Thomas Piketty qui propose un cadastre mondial des fortunes et un impôt sur le
capital qui s’imposerait à tous les pays, ou encore, l’idée de Jacques Drèze de
convaincre les partenaires européens de lancer un investissement massif dans
l’ensemble de l’Union afin d’y relancer l’activité. On pourrait aussi
mentionner la Taxe Tobin, la transparence financière internationale et pourquoi
pas une allocation universelle à l’échelle planétaire. J’ai beaucoup de
sympathie pour ces idées et je crois qu’il faut les défendre. Demeure la seule
vraie question du réalisme.
Cela me conduit à la quatrième position, une position pragmatique et qui
peut se résumer ainsi : comment reformer l’Etat providence soumis aux
risques de la mondialisation sans se renfermer sur soi-même, ni sans cesse
attendre l’Arlésienne d’une coopération internationale ? Les Etats
modernes ont encore de nombreux pouvoirs mais hésitent à s’en servir et préfèrent
blâmer la mondialisation afin de ne pas remettre en cause les privilèges des
uns et des autres, pour des raisons de caste ou des raisons électorales.
Quelques exemples : une réforme de l’impôt sur le revenu qui conduirait à
la suppression des niches fiscales, à un élargissement de l’assiette fiscale et
éventuellement à une baisse des taux tout en maintenant la progressivité de l’impôt ;
une gestion plus efficace du secteur public, une meilleure régulation des
banques. En d’autres termes, même dans le cadre contraint de la mondialisation,
les pouvoirs publics gardent une marge de manœuvre importante. Encore faut-il
l’utiliser à bon escient.
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