Pierre Pestieau
Il existe de par le monde différents types d’assurance dépendance. Comme
j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans des blogs précédents, le marché de
l’assurance dépendance est peu répandu. En Belgique, il est quasiment
impossible de trouver un assureur qui offre un contrat d’assurance dépendance.
Les assureurs se plaignent de la faiblesse de la demande et les assurés
potentiels se disent insatisfaits de l’offre qui leur est faite, particulièrement
des formules de compensations existantes qu’ils trouvent chères et peu assurantielles.
Il existe différentes formules de mécanismes de compensation. J’en
retiendrai quatre : (i) la formule forfaitaire; (ii) la formule indemnitaire;
(iii) le remboursement avec franchise et (iv) le remboursement à durée limitée.
Dans le cadre d’une assurance forfaitaire, la personne dépendante reçoit en compensation
une somme fixe, dont le montant dépend de la gravité estimée du sinistre et des
primes versées. Elle est libre d’utiliser ce montant à sa guise. Rien ne
garantit qu’il suffise à la réparation du dommage, à savoir financer les coûts
divers de la dépendance. En général ces montants forfaitaires sont nettement
insuffisants. Une personne qui réside dans un établissement d'hébergement
pour personnes âgées dépendantes (EHPAD en France ; MRS en Belgique) coûtant 4000 euros par mois en recevra au mieux le quart
(1). La formule forfaitaire est largement pratiquée en France.
Dans le cadre d’une formule indemnitaire, l’assuré est remboursé
proportionnellement au coût des soins engagés. Le risque d’une telle formule
est évident puisqu’elle peut conduire à la surconsommation de soins. Les
assurés, se sachant remboursés, n’ont aucune incitation à modérer leurs
dépenses. Comment savoir si les assurés « surconsomment » et si ces surconsommations
sont légitimes ? Une personne qui réclame une garde continue, 24h sur 24,
peut le faire par caprice mais aussi parce que la solitude l’angoisse et lui
est réellement insupportable. Il est souvent bien difficile de distinguer les
dépenses « légitimes » de celles qui relèvent du caprice. La formule forfaitaire
est censée limiter davantage, et pour cause, la surconsommation. Pour des
raisons de coûts, la formule indemnitaire est de moins en moins pratiquée. De
toutes façons, elle inclut un ticket modérateur censé limiter la
surconsommation.
La formule de la franchise répond à un souci croissant auprès des classes
moyennes : la peur de connaître une dépendance anormalement longue qui
peut conduire à la faillite du ménage, l’oblige à liquider tous ses actifs, à
vendre la maison familiale et à ne rien laisser aux enfants. Cette formule est fondée
sur le théorème de la franchise que l’on doit à Kenneth Arrow. Selon ce prix
Nobel, en présence de frais de chargement (i.e. de coûts d'assurance
proportionnels au remboursement), il est optimal de recourir à un contrat de
franchise, à savoir de s'assurer complètement à partir d'un certain seuil. En
deçà de cette franchise, les pertes ne sont pas couvertes ; au-delà, toute
dépense supplémentaire est couverte à 100 %. Pour des raisons étonnantes,
cette formule avec franchise n’est pas utilisée dans le domaine de la dépendance.
Ceci nous conduit à la quatrième formule qui offre des bénéfices à durée limitée, ce que nous
qualifierions de franchise inversée, parce qu’elle offre à l’assuré un remboursement
complet pendant les x premières années
de la dépendance. Au-delà de cette limite, l’assuré
ne touche plus rien. Cette formule surprenante est largement pratiquée aux
Etats Unis. Il existe plusieurs justifications au succès surprenant de celle-ci :
du côté de l’assureur la crainte d’une escalade des coûts, et du côté de
l’assuré une certaine myopie doublée de la certitude de pouvoir compter en
dernier ressort sur la famille ou sur l’assistance publique, en l’occurrence Medicaid (2) qui couvre près de la moitié
des dépenses formelles de dépendance aux Etats Unis.
Les économistes ont essayé de déterminer la formule de compensation idéale.
Celle-ci dépendra d’un ensemble de facteurs dont particulièrement l’existence
d’une assistance publique d’aide à la dépendance, de la possibilité de recourir
à l’aide familiale, de l’observabilité des besoins et de la connaissance des
coûts futurs. Si les besoins étaient observables, le risque de surconsommation serait réduit et la
formule de remboursement intégral serait applicable pour autant que l’on
connaisse à l’avance l’évolution des prix. La formule forfaitaire se justifie
par la présence d’aide informelle, la difficulté d’observer les besoins de la
personne dépendante et par l’incertitude des coûts futurs dont il vient d’être
question. L’assurance à durée déterminée n’est certainement pas attractive pour
les assurés mais elle s’explique par la crainte des assureurs de voir les coûts
s’envoler. La principale objection à la formule de franchise est précisément fondée sur l’incertitude pesant sur les prix futurs,
surtout en cas de dépendance prolongée, qui représente un risque rare mais
potentiellement coûteux.
Ces différentes formules concernent la classe moyenne, c’est-à-dire la majorité
de la population dans les pays industrialisés. Les ménages à hauts revenus
n’ont pas besoin de s’assurer ; le coût de la dépendance ne représente
qu’une faible fraction de leur patrimoine. Quant aux ménages pauvres, ils n’auraient
pas les moyens de s’assurer et doivent miser sur la solidarité familiale et des
programmes d’assistance sociale.
(1) En
France les professionnels se rendent compte de ce problème et songent a
répondre à cette critique en proposant un forfait plus en rapport avec le cout
réel de l’hébergement. Leur hésitation est liée à la promesse du gouvernement
d’intégrer la dépendance dans la sécurité sociale
(2) Medicaid est
un programme qui a pour but de fournir une assurance maladie aux individus et
aux familles à faibles revenus et ressources. Il couvre aussi l’aide à la
dépendance. On notera en passant qu’un tiers de cette intervention bénéficie à
des personnes dépendantes aisées qui se sont mises en position éligible en
jouant avec des règlements de test de ressources, qui varient selon les Etats.
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