Victor Ginsburgh
La Tour Penchée de la BCE à Francfort |
Comme le note le quotidien espagnol Expansión (1), Mario Draghi le
président de la Banque Centrale Européenne (BCE) a une nouvelle baballe avec
laquelle il peut jouer : Acheter sur les marchés des obligations (peu
liquides et pas très bien notées par les agences) des entreprises de la zone
Euro. Et L’Echo ajoute que dès le
début [mercredi 8 juin] la BCE a acheté des titres « non spéculatifs, mais
presque » et a « plongé les mains dans le cambouis » (2).
Etant donné la taille des achats que la Banque peut se permettre (jusqu’à €
20 milliards par mois), ces achats vont évidemment réduire le taux des emprunts
pour ces entreprises (et pour l’ensemble des entreprises). Ce qui n’a
d’ailleurs pas manqué.
Qu’a donc acheté la BCE ? Je vous le donne en mille.
AB InBev: L'envol des impôts |
Des obligations d’AB InBev, la brasserie dont font partie les bières
Stella, Jupiler et pas mal d’autres, et dont le « AB » du nom
provient de celui d’une brasserie américaine Anheuser-Busch achetée en 2008. AB
InBev est aujourd’hui une multinationale belgo-brésilienne qui a ses quartiers
généraux à Leuven (Belgique) et à Sao Paulo (Brésil). Elle possède des
brasseries dans plus de 25 pays, occupe quelque 155.000 personnes, fait 25% du
marché mondial de la bière et est dirigée à partir du Brésil par Carlos
Brito ; son Président est le Hollandais Kees (le prénom d’un Hollandais
sur deux) Storm. Elle réalise un bénéfice avant impôts et intérêts à payer
(EBIT) de € 15 milliards, qui représentent à peu de chose près son bénéfice
net, étant donné qu’elle s’arrange pour ne pas payer d’impôts du tout, en tout
cas en Belgique. Si vous voulez savoir pourquoi, allez voir une article dans L’Echo, intitulé « Pourquoi AB
Inbev ne paie pas d’impôt en Belgique » (3).
Les actions d’AB InBev sont en partie détenues par les familles les plus
riches de Belgique, Spoelberch, de Mévius et Vandamme, liées par des mariages
divers remontant aux années 1925 et dont la fortune familiale s’élève à quelque
€ 53 milliards (4), alors que le second belge le plus riche, Albert Frère,
atteint minablement € 6,2 milliards (5) et la famille Colruyt vient en
troisième position des fortunes belges avec € 3,7 milliards (6). Vous
conviendrez avec moi qu’il s’agit là d’une distribution bien inégalitaire du
patrimoine, non ?
Mais ceci nous éloigne de ce que fait le Président de la BCE en achetant
des obligations d’AB InBev. Il acquiert des titres qui ont un rendement assez
minable et un risque assez élevé d’une multinationale dont une bonne partie des
capitaux se situent hors de l’Union Européenne et de la zone Euro (Etats-Unis
et Brésil essentiellement) ; celle-ci réalise des bénéfices non
négligeables et ne paie pas d’impôts en tout cas dans un des deux pays où elle
a ses quartiers généraux.
Pour tous ces bienfaits, elle est récompensée puisque, si elle doit
emprunter sur le marché des obligations, elle paiera, grâce à la BCE, un taux
d’intérêt plus faible.
Vive l’Union Européenne, vive l’Euro, vive la BCE, vive AB InBev. Quelle
chance nous avons de vivre dans un aussi bel environnement, où il n’y a pas de
pauvres, sauf Albert Frère et Colruyt, pas de chômeurs, et pas des réfugiés mal
accueillis.
[Merci A.E. de m’avoir donné une nouvelle baballe avec laquelle je peux
jouer].
(1) El BCE inicia la compra des
bonos de Telefónica, Pepsol, y Gas Natural, Expansión, 9 juin 2016.
(2) Philippe Galloy, La BCE devient créancière d’AB
InBev, de Renault ou encore d’Engie, L’Echo,
9 juin 2016.
(3) Michel Lauwers, Pourquoi AB Inbev ne paie pas d’impôt en Belgique, L’Echo, 27 mai 2014.
(6) http://derijkstebelgen.be/vermogende/familie-colruyt/
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