Pierre Pestieau
La Grande Évasion (The Great Escape) est un film américain de John Sturges sorti en 1963. Il raconte une histoire vraie qui s’est déroulée 20 ans
avant durant la Seconde Guerre Mondiale. Des officiers alliés récidivistes de
l'évasion sont prisonniers et surveillés étroitement dans un stalag. Malgré
cela, ils préparent une évasion massive. Soixante-quinze d'entre eux
parviennent à s'échapper mais la plupart seront rattrapés. Dans son livre éponyme
(1), Angus Deaton (2) utilise cette analogie pour conter ce mouvement qui a
conduit une partie de l'humanité à s'évader de la misère et de la maladie, ce
qui s'est fait au prix d'inégalités aujourd'hui flagrantes entre les pays et
les populations.
Né en Écosse, enseignant à Princeton, Angus Deaton s'est vu décerner le
Prix Nobel 2015 pour ses travaux fondés sur la mesure économétrique fine des
comportements individuels dans le domaine de la consommation et de la pauvreté
en relation avec le bien-être. En 400 pages écrites avec clarté et pédagogie, il
expose à la fois les faits,
l’évolution récente des inégalités et de la santé dans le monde, et ses
propositions pour réduire ces inégalités ; il nous prévient que la volonté
politique est primordiale pour avoir raison des inégalités de revenus et de santé.
Il remet en question le mythe d'une relation causale entre croissance du revenu
et amélioration de la santé. Pour lui, sauver des vies dans les pays pauvres
n’est pas coûteux et il décrit de nombreux cas où la santé s’est améliorée sans
qu’il n’y ait eu de croissance. Le ton de l’ouvrage est celui d’un optimisme
tempéré.
Pour Deaton, il fait meilleur vivre dans le monde de nos jours que par
le passé. Les femmes et les hommes se portent mieux, ils sont plus riches et
vivent plus longtemps. Au fil des pages, il narre cette histoire qui, depuis
deux cent cinquante ans, a vu certaines parties du monde croître de manière
spectaculaire, mais a aussi laissé se creuser de fortes inégalités. Analysant
en profondeur les ressorts de la prospérité et de la richesse des nations, il
porte un regard lucide sur le chemin qu'il reste à parcourir pour venir en aide
aux plus pauvres. Deaton remarque que si une grande partie de l’humanité
échappe à la précarité, la maladie et la mort prématurée, il demeure qu’une
minorité non négligeable reste en rade. Ce sont les laissés-pour-compte que
l’on trouve surtout dans les pays en développement et particulièrement en
Afrique et qui vivent avec moins d’un dollar par jour. Il fait aussi remarquer que cela ne coûterait que 15
centimes par jour à chaque habitant vivant des pays nantis pour éradiquer cette
pauvreté.
Dans le dernier chapitre de son ouvrage,
Deaton fait part de son grand scepticisme à l’égard d’une telle redistribution
des pays riches vers les pays pauvres, qui dans la réalité porte le nom d’aide
au développement. Il montre que celle-ci est souvent inopérante et peut même avoir
des effets pervers en encourageant la corruption et en favorisant la dépendance.
Pour lui la meilleure manière d’aider les pays en développement est de jouer
sur les mécanismes de marché. Cette critique radicale de l’aide au développement,
qui est, selon moi, trop sévère, a eu un grand retentissement.
Il convient de noter qu’une des raisons
de cette amélioration des conditions de vie et de la réduction de la pauvreté réside
dans la manière dont les mesures sont faites. Elles sont en effet réalisées sur
base d’un seuil de pauvreté absolu, typiquement un dollar par jour. Or les deux
pays les plus peuplés, la Chine et l'Inde, ont connu une croissance rapide
depuis des décennies. Il est inévitable dans ces conditions que la pauvreté ait
baissé. Si on recourrait à un seuil de pauvreté relatif ou à une mesure d’inégalité,
le bilan serait moins favorable.
Comme mentionné ci-dessus, le titre du
livre est celui d’un film célèbre plein d’optimisme mais au dénouement mitigé.
Ces deux caractéristiques sont aussi celles du livre d’Angus Deaton. Et
pourtant quand on réfléchit aux problèmes de pauvreté, on aurait plutôt la
tentation de se référer à un film plus ancien et de meilleure facture, La Grande Illusion, le chef d’œuvre de
Jean Renoir, dont le ton est beaucoup plus sombre.
(1) Angus Deaton, La grande évasion - Santé, richesse et
origine des inégalités,
Paris : PUF, 2016. La version originale de cet ouvrage est parue en
2014 chez Princeton University Press ; elle est remarquablement bien
traduite de l'anglais par Laurent Bury.
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