Pierre Pestieau
Le blog qui précède vient de décrire la querelle qui oppose deux camps. A
ma droite, les économistes orthodoxes, néoclassiques, orthodoxes ; à ma
gauche, les économistes atterrés, hétérodoxes, critiques de l’économie de marché.
Cette querelle est ancienne; elle a été récemment attisée par la publication d’un
livre brulot qui porte le titre malencontreux de Négationnisme économique (1).
Je n’ai pas lu ce livre mais j’ai lu les nombreux articles qui lui ont été
consacrés et connais les protagonistes de cette tragicomédie.
La querelle m’intéresse parce que si on s’y laissait enfermer on en arriverait
à penser qu’il n’est pas possible d’être un économiste orthodoxe et de gauche à
la fois. Or il me semble possible d’utiliser les méthodes et les concepts de l’économie
néoclassique tout en reconnaissant les nombreux dysfonctionnements de l’économie
de marché et la non- pertinence de l’économie orthodoxe. Par non-pertinence, je
veux dire que l’économie orthodoxe s’intéresse peu aux problèmes réels de notre
société, le chômage, la précarité et le sous-développement et se dévoie dans
des thématiques aussi pertinentes que le sexe des anges. Elle se prétend
scientifique et objective là où elle prend parti. L’économie hétérodoxe adopte
le plus souvent un style impressionniste mais elle a le mérite de dénoncer un système
qui conduit à l’exclusion et à la désespérance.
Cet été, j’ai lu deux ouvrages dont il a déjà été fait allusion dans ce
blog, L’Economie du Bien Commun de Jean Tirole (2) et Tous Rentiers de Philippe
Askenazi (3) ; le premier appartient au camp des orthodoxes et le second à
celui des atterrés. J’ai pris plaisir à lire l’un et l’autre et je dois avouer
que l’ouvrage d’Askenazi rejoignait davantage mes préoccupations à l’égard des dérives
de notre système.
Pour illustrer mon embarras, j’aimerais évoquer deux personnalités qui ont
beaucoup compté dans mon parcours scientifique et intellectuel, à savoir Jacques
Drèze et Joseph Stiglitz, que l’on hésiterait à rattacher à l’un ou l’autre
camp. Drèze est certainement un des tout grands économistes de ce dernier demi siècle ;
il a été le fondateur du CORE (Université de Louvain) qui vient de fêter ses 50
ans et qui a influencé le renouveau de la recherche économique en Europe. Il
est connu pour ses travaux en économie et en économétrie, qui ont été publiés
dans les revues qui ont pignon sur rue. Et tout à la fois depuis deux décennies,
il s’est lancé à la recherche du Graal, une théorie qui permettrait d’expliquer
l’origine du chômage structurel dont souffrent nos pays et d’en trouver les remèdes.
Et ce, au moment où la plupart des macroéconomistes et économistes du travail,
en cela influencés par leurs collègues nord-américains, continuent de prétendre
que le chômage est avant tout volontaire (en ce sens qu’il provient du refus de
travailler a cause des salaires trop bas ou de conditions de travail
inacceptables.).
Stiglitz a une œuvre théorique que l’on ne présente plus ; elle lui a
valu un prix Nobel et sa place au Panthéon des économistes orthodoxes et
pourtant depuis près de vingt ans, il est le chantre de la lutte contre le
capitalisme et ses outrances. Dans son dernier ouvrage consacré à l’Europe, il
montré à quel point de mauvais choix macroéconomiques peuvent générer pauvreté,
souffrances sociales et troubles politiques.
On dira de
Stiglitz et de Drèze qu’ils sont comme Michel Jobert, ce ministre éphémère, que
les moins de 50 ans ne peuvent connaître, ni d’un cote, ni de l’autre, mais
ailleurs. En un mot inclassables.
(2) Jean Tirole,
L’économie du Bien Commun, Paris : PUF, 2016.
(3) Philippe
Askenazi, Tous Rentiers, Paris : Odile Jacob, 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire