jeudi 27 octobre 2016

Les oubliés d’Hilarante Clinton


Victor Ginsburgh

Pourquoi hilarante ? Parce que ses conseillers lui ont conseillé de sourire ou de rire lors de ses débats avec Trump (1).  Mais il n’y a pas de quoi sourire ni rire, parce qu’en public, Mme Clinton explique que « notre économie devrait travailler pour chacun de nous, et pas seulement pour ceux qui sont au sommet ». En privé, devant ses banquiers favoris (Goldman Sachs et Black Rock, un fonds de placement qui gère $5.000 milliards), elle explique que nombreux sont ceux qui pensent que la classe ouvrière ne reçoit pas son dû, mais elle ajoute que sa propre opinion n’est pas encore faite à ce sujet. Elle admet qu’elle faisait partie de la classe moyenne, « mais qu’aujourd’hui, suite à la vie que j’ai vécue et à la fortune que mon mari et moi avons accumulée, je suis loin de la classe moyenne ; je n’ai cependant pas oublié que j’en étais » (2). C’est ça l’effet ascenseur tant décrit par les Américains, mais qu’en est-il réellement ?
 
Une étude sur cette question vient d’être publiée (3). Elle porte sur les avantages ou les désavantages que les arrière-grands-parents, les grands-parents et les parents ont transmis à leur descendance. Les avantages et désavantages sont mesurés en termes de niveau d’éducation, mais les auteurs font l’hypothèse que celui-ci est fortement corrélé à la classe sociale, au revenu, et à la richesse. Cette hypothèse est largement acceptée par les chercheurs qui travaillent dans ce domaine.


L’étude remonte donc à quatre générations (sur base des recensements entre 1910 et 2010) et essaie de tirer les conclusions de ce qu’une séquence de quatre générations (arrière-grands-parents, grands-parents, parents et enfants) et deux séquences de trois générations (grands-parents, parents, enfants) racontent par rapport à l’habituelle séquence de deux générations (parents, enfants).

La raison pour laquelle la transmission des parents à leurs enfants ne conduit pas à une mesure correcte de la mobilité ascendante— et qu’il importe de regarder plus loin en arrière — est la suivante. Supposons que le fils d’un riche banquier décide de devenir poète et arrête son éducation à l’âge de 18 ans, mais que la fille du poète reprenne la banque de son grand-père et suive des cours de finance à l’université. En examinant uniquement la relation parent enfant, on tire évidemment une mauvaise conclusion : il y a réduction de la durée des études, donc des revenus, à moins que le poète ne soit Bob Dylan, ce qu’en moyenne, il ne sera pas), et la même chose est vraie pour la relation du poète à la fille, qui, elle, montera sans doute largement dans l’échelle des revenus par rapport à son papapoète.

Les conclusions décrites par Ferrie, Massey et Rothbaum (3) remettent sérieusement en question ce qu’on avait décrit jusqu’ici sur base de deux générations (parents, enfants) et montre que l’ascenseur social ne fonctionne pas bien du tout aux Etats-Unis. Il n’y a donc pas uniquement l’écart entre riches et pauvres qui s’accroît, les riches devenant de plus en plus riches, mais il y a aussi un manque de mobilité des classes pauvres qui ne parviennent plus à sortir de leur pauvreté.

« Quoi que vous ayez pensé, c’est pire » (4) et Hillary devrait le savoir ou lire l’article dont question plus haut au lieu de perdre son temps et surtout celui des Américains pauvres en bavardant avec les banquiers de Goldman Sachs.

Les dangers de la présidence Clinton sont, écrit un éditorialiste du New York Times,  « ceux d’un groupe d’élite de Washingtoniens au service d’idéaux douteux. Les dangers d’une inconséquence (recklessness) et d’un radicalisme que le groupe lui-même ne reconnaît pas, parce qu’il est convaincu que si une idée représente le courant dominant et le lieu commun parmi les grands et les bons, il ne peut pas être faux » (5).

Mais est-ce tellement mieux en Europe ? Une question sans beaucoup de réponses, me dit Pierre Pestieau qui connaît ces choses bien mieux que moi.

(1) Lucy Clarke-Billings, Why Hillary Clinton’ face could lose her the élection, Newsweek, October 19, 2016.
(2) Leah McGrath Goodman, Hillary Clinton’s leaked speech excerpts show she’s embraced Wall Street’s dark side, Newsweek October 12, 2016.
 (3) Joseph Ferrie, Catherine Massey and Jonathan Rothbaum, Do grandparents and great-grandparents matter ? Multigenerational mobility in the US, 1910-2013, NBER Working Paper 22635, September 2016.
(4) Ana Swanson, Striking new research on inequality : Whatever you thought, it’s worse, The Washington Post, October 6, 2016. Merci à Cédric C. d'avoir attiré mon attention sur cet article.

(5) Ross Douthy, The dangers of Hillary Clinton, The New York Times, October 22, 2016.

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