Victor Ginsburgh
Pourquoi hilarante ? Parce que ses conseillers lui ont conseillé de
sourire ou de rire lors de ses débats avec Trump (1). Mais il n’y a pas de quoi sourire ni rire, parce qu’en
public, Mme Clinton explique que « notre économie devrait travailler pour
chacun de nous, et pas seulement pour ceux qui sont au sommet ». En privé,
devant ses banquiers favoris (Goldman Sachs et Black Rock, un fonds de
placement qui gère $5.000 milliards), elle explique que nombreux sont ceux qui
pensent que la classe ouvrière ne reçoit pas son dû, mais elle ajoute que sa
propre opinion n’est pas encore faite à ce sujet. Elle admet qu’elle faisait
partie de la classe moyenne, « mais qu’aujourd’hui, suite à la vie que
j’ai vécue et à la fortune que mon mari et moi avons accumulée, je suis loin de
la classe moyenne ; je n’ai cependant pas oublié que j’en étais » (2).
C’est ça l’effet ascenseur tant décrit par les Américains, mais qu’en est-il réellement ?
Une étude sur cette question vient d’être publiée (3). Elle porte sur les
avantages ou les désavantages que les arrière-grands-parents, les grands-parents
et les parents ont transmis à leur descendance. Les avantages et désavantages
sont mesurés en termes de niveau d’éducation, mais les auteurs font l’hypothèse
que celui-ci est fortement corrélé à la classe sociale, au revenu, et à la
richesse. Cette hypothèse est largement acceptée par les chercheurs qui
travaillent dans ce domaine.
L’étude remonte donc à quatre générations (sur base des recensements entre
1910 et 2010) et essaie de tirer les conclusions de ce qu’une séquence de
quatre générations (arrière-grands-parents, grands-parents, parents et enfants)
et deux séquences de trois générations (grands-parents, parents, enfants)
racontent par rapport à l’habituelle séquence de deux générations (parents,
enfants).
La raison pour laquelle la transmission des parents à leurs enfants ne
conduit pas à une mesure correcte de la mobilité ascendante— et qu’il importe
de regarder plus loin en arrière — est la suivante. Supposons que le fils d’un
riche banquier décide de devenir poète et arrête son éducation à l’âge de 18
ans, mais que la fille du poète reprenne la banque de son grand-père et suive
des cours de finance à l’université. En examinant uniquement la relation parent
enfant, on tire évidemment une mauvaise conclusion : il y a réduction de
la durée des études, donc des revenus, à moins que le poète ne soit Bob Dylan,
ce qu’en moyenne, il ne sera pas), et la même chose est vraie pour la relation
du poète à la fille, qui, elle, montera sans doute largement dans l’échelle des
revenus par rapport à son papapoète.
Les conclusions décrites par Ferrie, Massey et Rothbaum (3) remettent
sérieusement en question ce qu’on avait décrit jusqu’ici sur base de deux
générations (parents, enfants) et montre que l’ascenseur social ne fonctionne
pas bien du tout aux Etats-Unis. Il n’y a donc pas uniquement l’écart entre
riches et pauvres qui s’accroît, les riches devenant de plus en plus riches,
mais il y a aussi un manque de mobilité des classes pauvres qui ne parviennent
plus à sortir de leur pauvreté.
« Quoi que vous ayez pensé, c’est pire » (4) et Hillary devrait
le savoir ou lire l’article dont question plus haut au lieu de perdre son temps
et surtout celui des Américains pauvres en bavardant avec les banquiers de
Goldman Sachs.
Les dangers de la présidence Clinton sont, écrit un éditorialiste du New York Times, « ceux d’un groupe d’élite de
Washingtoniens au service d’idéaux douteux. Les dangers d’une inconséquence (recklessness)
et d’un radicalisme que le groupe lui-même ne reconnaît pas, parce qu’il est
convaincu que si une idée représente le courant dominant et le lieu commun
parmi les grands et les bons, il ne peut pas être faux » (5).
Mais est-ce tellement mieux en Europe ? Une question sans beaucoup de
réponses, me dit Pierre Pestieau qui connaît ces choses bien mieux que moi.
(1) Lucy Clarke-Billings, Why
Hillary Clinton’ face could lose her the élection, Newsweek, October 19, 2016.
(2) Leah McGrath Goodman, Hillary
Clinton’s leaked speech excerpts show she’s embraced Wall Street’s dark side, Newsweek October 12, 2016.
(3) Joseph Ferrie, Catherine Massey and Jonathan Rothbaum, Do
grandparents and great-grandparents matter ? Multigenerational mobility in
the US, 1910-2013, NBER Working Paper 22635, September 2016.
(4) Ana Swanson, Striking new
research on inequality : Whatever you thought, it’s worse, The Washington Post, October 6, 2016. Merci à Cédric C. d'avoir attiré mon attention sur cet article.
(5) Ross Douthy, The dangers of
Hillary Clinton, The New York Times, October
22, 2016.
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