Pierre Pestieau
Plus que jamais, nous avons un comportement à la Mr
Jekill et Dr Hyde. Le jour, nous sommes soucieux du respect des droits de
l’homme au Bengladesh et en Chine, ou des conditions de travail des employés de Ryan Air et autres compagnies low cost. La
nuit, nous portons des vêtements fabriqués dans des ateliers de misère, les
tristes sweatshops, ou nous voyageons à des prix qui défient
l’imagination.
Mais là où ce comportement schizophrénique est sans
doute le plus choquant, c’est dans le domaine des plateformes numériques. Nous
nous réjouissons des avantages en termes de prix et de flexibilité des services
d’Amazon, Airbnb, Uber ou Deliveroo et tout à la fois nous déplorons la manière
dont le personnel de ces différentes plateformes sont traités et des conséquences
que cela peut avoir pour la viabilité de notre modèle social (1).
La protection sociale des personnes travaillant dans les
plateformes en ligne fait problème. Ces chauffeurs, coursiers, nettoyeurs,
concepteurs, traducteurs, techniciens et autres sont souvent engagés comme indépendants
et leurs conditions d’emploi sont difficilement conciliables avec la relation
de travail traditionnelle. Ces conditions incluent l'utilisation de leurs
propres matériels (comme la voiture du conducteur), la flexibilité en matière
d'horaire de travail (connexion au travail via une application pour
smartphone), la courte durée de la relation de travail et son caractère
multilatéral. Les travailleurs des plateformes ne bénéficient pas des diverses protections
sociales qui, dans la plupart des pays, sont liées à un contrat de travail.
Deliveroo est sans
doute le plus bel exemple de ce mauvais traitement des travailleurs toléré par
les pouvoirs publics et une grande partie de l’opinion. Depuis quelque temps,
dans plusieurs pays, ces travailleurs ont manifesté en veillant à se voiler la
face pour eviter des représailles. La réforme de la structure tarifaire de la plateforme a été le déclencheur
de ce mouvement. Prenons le cas français. Si, auparavant, ces travailleurs étaient
rémunérés à 7,50 euros de l’heure, avec un bonus de deux à quatre euros par
course, la méthode a changé. Ils sont désormais payés à la course. Dans le nouveau
système, une livraison rapporte 5,75 euros pour les coursiers parisiens et 5
euros ailleurs en France, sans aucune compensation pour l’attente. Cela
représenterait une baisse de revenu de 25 à 30%.
Ajoutons à cela que les
cyclistes de Deliveroo ne peuvent pas livrer pour une autre plateforme. Il
y aussi les conditions de travail. Pas d’assurance en cas
d’accident. Le matériel est à leur charge des livreurs, achat et entretien. Ajoutons à cela, si c’est nécessaire, la précarité dans laquelle
vivent ces travailleurs qui sont du coup corvéables à merci. C’est
cela le progrès. On est loin de la nonchalance que plaidait Victor dans son blog
du 8 octobre.
(1).
Sur ce sujet, voir https://www.socialeurope.eu/tackling-precarity-in-the-platform-economy-and-beyond
Quelle jeunesse dans vos propos, un printemps naissant !
RépondreSupprimerVos mots décrivent assez bien le statut d’indépendant que je partageais il y a 20 ans.
La loi, les "lois sociales", les "charges", l'impossibilité de vivre en balance d'avec ce qu'il reste.
un monde !
Bonjour,
RépondreSupprimerVous avez bien raison de faire remarquer la contradiction entre l'indignation et l'utilisation des services qui ont provoqué l'indignation. Il y a pourtant des choses évitables, même si nous ne sommes pas toujours maître de notre consommation : Personnellement je n'utilise jamais Amazon, ni les divers services ubérisés ! Et vraiment sans aucune privation de quoi que ce soit ni aucune perte de jouissance !
Cordialement