Pierre Pestieau
Les politiques sociales s’adressent aux personnes âgées sous trois angles : santé, autonomie et revenus. Dans le meilleur des monde, on pourrait imaginer que ces politiques puissent aboutir à ce que chacun jouisse d’une bonne santé et d’une pleine autonomie et dispose de ressources suffisantes. Et pourtant même dans ce « meilleur » des mondes, subsisterait un problème : tout le monde ne serait pas également heureux. Ces différences de bonheur, alors qu’autonomie, revenu et santé seraient les mêmes pour tous, peuvent s’expliquer par différents facteurs. J’en retiendrai deux qui me semblent les plus importants : la capacite innée a être heureux et l’environnement social, à savoir la famille et les amis.
Dans une étude récente (1) portant sur les personnes âgées dans une vingtaine de pays européens, il apparaît que contrôlant pour les différences de revenus, le bonheur d’une part et la santé/autonomie d’autre part n’étaient pas fortement corrélés. En d’autres termes, on trouvait dans chacun des pays étudiés, des personnes en bonne santé et parfaitement autonomes qui se disaient malheureuses et des personnes fortement dépendantes qui se disaient heureuses.
Une objection bien naturelle pourrait être émise à propos de la capacité à mesurer ces différentes variables. Par ordre de difficulté, on aurait le revenu, la santé, l’autonomie, l’environnement social, le bonheur et enfin la capacité à être heureux. On passera sur cette objection pour les besoins de l’argumentation et on supposera que l’on peut quantifier ces différentes dimensions. Se posent alors deux questions. Est-ce bien le rôle de l’État providence de viser aux plus grand bonheur des individus et plus précisément de compenser les individus qui ont un environnement social défavorable et une faible capacité à être heureux ? Ensuite, si la réponse a cette première question est positive, quels instruments peuvent amener cette compensation ?
En améliorant l’habitat des personnes âgées, on pense aux habitation intergénérationnelles ou à des EHPAD davantage conviviaux, on peut améliorer la qualité de leur environnement social. Mais ce sera limité. Quant à la capacité à être heureux, la seule solution pourrait être des compensations monétaires qui permettrait d’augmenter le bien-être des tristounets de ce monde.
Dans la pratique, l’État providence tend a mettre l’accent sur les dimensions de revenu, de santé et d’autonomie, négligeant les autre facteurs expliquant le bonheur. Comment expliquer ce positionnement ? Est-ce pour des raisons d’information ? On n’agirait que sur les dimensions qui sont observables. Ou est-ce pour des raisons éthiques ? Ce ne serait pas à l’État providence de s’occuper du bonheur des gens. Il existe cependant une troisième explication qui repose sur le concept de dissonance cognitive : si quelqu'un désire quelque chose, mais qu'il le trouve inatteignable, il réduit sa dissonance en le critiquant. Jon Elster (2) qualifie ce type de comportement de « formation d’une préférence adaptée ». En d’autres termes, les individus auraient tendance à trouver leur bonheur dans l’adversité, que ce soit la maladie, le handicap ou la pauvreté.
Si cette hypothèse devait être vérifiée, baser une politique publique sur un indicateur de bonheur pose problème. Cela validerait la politique observée qui consiste à assurer aux personnes âgées la meilleure santé possible et la plus grande autonomie.
(1). Flawinne, X., S. Perelman et J. Schoenmakers (2023), Indicateurs de dépendance sur base de l’enquête SHARE : réflexions sur l’espérance de vie sans capacité, ronéo.
(2). Jon Elster Rationality and the Emotions, The Economic Journal, Volume 106, 1996, Pages 1386–1397.
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