Pierre Pestieau
La vieillesse est incontestablement la période de la vie où l’individu se sent le plus vulnérable, fragile, sans protection. Pour illustrer ces fragilités, il est intéressant de prendre la vie à partir de sa fin comme dans le film L'Étrange Histoire de Benjamin Button. Il meurt sans savoir si ses dernières volontés seront suivies. Il n’en saura jamais rien. Il sera peut-être inhumé alors qu’il souhaitait être incinéré. La maison qu’il avait laissée à un de ses enfants avec la promesse de la garder en l’état sera peut-être vendue à un promoteur immobilier qui la démolira pour construire un horrible bâtiment. Plus tôt, il aurait tant voulu qu’on abrège ses souffrances grâce à une euthanasie digne. Cela lui a été refusé par une famille réticente et un médecin obtus, profitant de son état de faiblesse.
Avant cela, alors qu’il avait encore une bonne partie de sa tête, il a été soumis à ce que l’on pourrait appeler de la maltraitance « altruiste » de la part de ses proches. Ses enfants l'ont placé dans un Ehpad dont il ne voulait pas, pour son bien naturellement. Pas trop cher non plus, pour leur bien. Toujours, pour son bien, ils l'ont mis sous tutelle de sorte qu’il n’a plus aucun contrôle sur ses revenus et son patrimoine. Sa maison est maintenant occupée par un de ses enfants et son garage est utilisé par un autre. Quoi de plus normal. Il n’a plus besoin ni de l’une ni de l’autre maintenant qu‘il a été refilé comme une patate chaude à une institution. (1)
Commet éviter un tel enfer ? Ce n’est pas simple. Plus compliqué encore que d’éviter la maltraitance institutionnelle, ou même la maltraitance familiale cynique. Ici le maltraitant est convaincu de son bon droit. Il se comporte ainsi pour le bien de la personne dépendante qui, elle, ne sait pas ce qui lui convient. A cela se mêle le fait que l’appareil judiciaire se range toujours, dans ces cas extrêmes du côté de la famille. Les amis ou les parents lointains n’ont pas voix au chapitre.
Il est clair qu’une fois enclenché ce scenario infernal ne peut être arrêté. Il faut donc prévenir et anticiper. La meilleure prévention est sans nul doute d’investir affectivement dans la famille. Dans un article récent (2) avec des collègues chinois, nous montrons qu’avec l’allongement de la vie et les besoins de soins qu’une longue vieillesse réclame, les Chinois et les habitants de pays du Sud-Est asiatique commencent à modifier leur façon d’éduquer leurs enfants. Ils abandonnent progressivement le style strict de ce qu’on appelle le « tiger parenting » pour un style empreint de patience et d’amour qui prend plus de temps mais qui les assure de pouvoir compter sur leurs enfants en cas de besoin. Ceci dit, même avec la meilleure bonne volonté, il n’est pas toujours possible d’éviter cette maltraitance altruiste.
Il importe aussi de s’assurer légalement une autonomie financière qui échappe à des tentatives d’extorsion. Il y a plusieurs décennies, j’ai connu une dame âgée qui avait été invitée par sa petite fille pour y passer ses dernières années. Le soir de sa venue dans ce nouveau foyer, son petit-fils par alliance lui dit : Grand’mère, vous êtes la bienvenue chez nous. Mais comme vous ne manquerez de rien, je vous demanderais de me confier tous vos avoirs. Il ne lui a pas fallu plus d’une minute pour appeler un taxi et partir pour le premier hôtel venu avec ses bagages. Quelques jours plus tard, elle était accueillie dans un Ehpad convenable. C’est là que je l’ai visitée et qu’elle m’a rapporté cette anecdote. Ça se passait à Los Angeles.
Il convient de prendre des dispositions bien avant qu’il ne soit trop tard. On observe à cet égard de fortes disparités d’un pays à l’autre. La fraction de personnes âgées ayant formellement désigné une personne qui prendra les décisions relatives à leur traitement passe de 67% aux États Unis et 62% au Canada à 16% aux Pays Bas. (3) Ce sont là des précautions élémentaires qui dans la plupart des cas n’auront aucune utilité dans la mesure où la majorité des fins de vie se déroulent fort heureusement de façon plus harmonieuse que celle que je viens de décrire.
(1). On retrouve ce thème dans le récent roman de Lionel Shriver "À prendre ou à laisser" Belfond, Paris 2023.
(2). Fan, Simon, Yu Pang et Pierre Pestieau, « Parenting Styles, Eldercare, and Human Capital », Document de Travail, 2013.
(3). American Academy of Actuaries (2017), End-of-Life Care in an Aging World: A Global Perspective. https://www.actuary.org/end-of-life-care#:~:text=Issues%20surrounding%20end%2Dof%2Dlife,economic%20burdens%20on%20future%20generations
Merci pour ce texte plein d'intérêt. Peut on avec des nouvelles de la santé du collègue?
RépondreSupprimer