Etienne
de Callatay et Victor Ginsburgh
Les
carnavals remontent à bien loin, y compris à des fêtes licencieuses ou
orgiaques telles que les dionysiaques en Grèce et les bacchanales à Rome ou,
toujours à Rome, les saturnales durant lesquelles les esclaves devenaient les
maîtres et avaient le droit se moquer de leurs « vrais » maîtres. Ces
fêtes se sont assagies au cours du temps (encore que, et heureusement, pas
toujours) et sont devenues un tradition partout dans le monde. Le masque permet
bien des libertés. Pas à l’UNESCO ni en Belgique dirait-on.
La
petite ville flamande d’Alost a osé faire parader un char où des Flamands
déguisés en SS arrêtaient des Francophones pour les déporter.
La
directrice générale de l’UNESCO qui avait inscrit le Carnaval d’Alost sur sa
liste du patrimoine immatériel mondial s’est déclarée « profondément
choquée par cet acte inacceptable qui est une insulte à la mémoire de 6
millions de Juifs tués durant l’Holocauste » (1). Les organisations juives,
comme d’autres organisations politiques belges francophones et bien-pensantes sont
évidemment très « choquées » elles aussi (2).
Nous
avons adopté un autre point de vue dans un article que Le Soir du 22 février 2013 a très élégamment accepté de publier. Il
vient en réaction à un éditorial que le journal lui-même avait publié le 15 février sous le
titre ‘Requiem pour l’humour belge’ (3), et que nous avons jugé malheureux pour
d’autres raisons. Voici le texte de notre article.
« Un commentaire inspiré par le char du
Carnaval d’Alost représentant sous le jour de l’Holocauste la déportation des
francophones de Flandre est qu’il s’agirait là de l’expression de la fin de
l’humour belge et, partant, de la confirmation de la séparation culturelle
entre Nord et Sud de ce pays. « Nous avons partagé tant bien que mal le
territoire commun. Nous n’aimons pas les mêmes artistes (…) nous ne rions plus
des mêmes choses », telle est la lecture de l’éditorial du Soir du 15 février 2013.
« Les circonstances festives invitent à la
légèreté mais de telles affirmations sont lourdes de sens. A la réflexion,
elles paraissent hâtives. Si à Alost des gens déclarent « tout le monde a
bien ri », il n’est pas pour autant avéré que tous les Flamands ont bien
ri. Et si à Malmédy ou à Stavelot on n’a rien vu de tel, il n’est pas plus
avéré que cela aurait été inconcevable du côté francophone. Qu’il soit juif ou
anglais, l’humour est souvent localisé et la langue, avec ou sans accents régionaux,
y est souvent importante. Traduire Bruno Coppens (4) n’est pas chose aisée.
Pourtant, il ne saurait être question d’assimiler humour et nation, ni humour
et langue. Des chaînes de télévision diffusent des scènes de vidéo-gag
planétaires et il est un certain nombre de francophones qui, sans être de
« mauvais francophones » pour autant, préfèrent très largement Bert
Kruysmans (5) à Thomas Gunzig (6).
« L’humour belge ne serait plus. Cela signifie
qu’il aurait existé mais aurait disparu. Voilà une double assertion qui
mériterait de reposer sur un examen plus approfondi. Est-on sûr qu’il y a eu un
humour belge, réunissant Flamands et Wallons en 1830, voire avant, et en 1970
mais plus maintenant ? Et qu’aurait été ce belge humour ? Les fables
bruxelloises de Pitje Schramouille (7) ne peuvent prétendre à ce titre, le pays
ne se résumant pas à sa capitale. S’il devait y avoir un humour national, on
peut penser que parmi ses traits distinctifs figurerait l’autodérision. Or,
cette dernière était bien l’intention des concepteurs du fameux char d’Alost,
même si certains esprits chagrins (y compris quelques incultes de l’UNESCO) la
trouvent douteuse.
« N’est-il pas rapide d’affirmer que Flamands
et francophones (avec une distinction entre Wallons et Bruxellois ?)
n’aiment pas les mêmes artistes et dès lors ne partagent pas un même
patrimoine culturel ? Il y a bien sûr des particularités mais box-office, liste
de best-sellers et expositions à succès ne semblent pas autoriser une telle généralisation.
Face à la mort éventuelle de la culture belge, il y a le volontarisme de ceux
qui veulent croire dans les vertus de la mixité culturelle … et il y a tout
simplement les faits. Dans la même
édition du Soir, il y a un
compte-rendu de ‘L’entrée du Christ à Bruxelles’ de ce Flamand de Wallonie
qu’est Dimitri Verhulst (8), une ‘fable féroce et drôle’. De quel humour
s’agit-il ? »
Voici
ce qu’Henri Goldman écrit très pertinemment à ce sujet dans son blog :
« Blesser
des individus ou des groupes entiers pour le seul plaisir de faire un gag, c’est vraiment nul,
mais c’est le prix à payer pour la liberté d’expression. Certains s’offusquent
de l’ ‘insulte à la mémoire des 6 millions de juifs morts dans l’Holocauste’
faite à Alost, mais ne voient pas l’insulte faite à des centaines de millions
de musulmans à Copenhague à travers la caricature de leur prophète.
Comment ? Ça n’a rien à voir ? Mais qui êtes-vous pour le
décréter ? Chaque groupe humain place le sacré où il l’entend. Désolé pour
vous si vous n’avez pas été consulté ». Voir http://blogs.politique.eu.org/Alost-et-Copenhague
(6)
Ecrivain belge qui se croit toujours très drôle. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Gunzig
(7) Roger
Kervyn de Marcke ten Driesche, Les fables
de Pietje Schramouille, Bruxelles : Espace Nord, 2000.
J'ai bien riz au lait mais j'adore quand même toujours Thomas Gunzig!
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