jeudi 28 février 2013

Carnaval d’Alost : Il ne faut pas char…rier

Etienne de Callatay et Victor Ginsburgh

Les carnavals remontent à bien loin, y compris à des fêtes licencieuses ou orgiaques telles que les dionysiaques en Grèce et les bacchanales à Rome ou, toujours à Rome, les saturnales durant lesquelles les esclaves devenaient les maîtres et avaient le droit se moquer de leurs « vrais » maîtres. Ces fêtes se sont assagies au cours du temps (encore que, et heureusement, pas toujours) et sont devenues un tradition partout dans le monde. Le masque permet bien des libertés. Pas à l’UNESCO ni en Belgique dirait-on.

La petite ville flamande d’Alost a osé faire parader un char où des Flamands déguisés en SS arrêtaient des Francophones pour les déporter.

La directrice générale de l’UNESCO qui avait inscrit le Carnaval d’Alost sur sa liste du patrimoine immatériel mondial s’est déclarée « profondément choquée par cet acte inacceptable qui est une insulte à la mémoire de 6 millions de Juifs tués durant l’Holocauste » (1). Les organisations juives, comme d’autres organisations politiques belges francophones et bien-pensantes sont évidemment très « choquées » elles aussi (2).

Nous avons adopté un autre point de vue dans un article que Le Soir du 22 février 2013 a très élégamment accepté de publier. Il vient en réaction à un éditorial que le journal lui-même avait publié le 15 février sous le titre ‘Requiem pour l’humour belge’ (3), et que nous avons jugé malheureux pour d’autres raisons. Voici le texte de notre article.

« Un commentaire inspiré par le char du Carnaval d’Alost représentant sous le jour de l’Holocauste la déportation des francophones de Flandre est qu’il s’agirait là de l’expression de la fin de l’humour belge et, partant, de la confirmation de la séparation culturelle entre Nord et Sud de ce pays. « Nous avons partagé tant bien que mal le territoire commun. Nous n’aimons pas les mêmes artistes (…) nous ne rions plus des mêmes choses », telle est la lecture de l’éditorial du Soir du 15 février 2013.

« Les circonstances festives invitent à la légèreté mais de telles affirmations sont lourdes de sens. A la réflexion, elles paraissent hâtives. Si à Alost des gens déclarent « tout le monde a bien ri », il n’est pas pour autant avéré que tous les Flamands ont bien ri. Et si à Malmédy ou à Stavelot on n’a rien vu de tel, il n’est pas plus avéré que cela aurait été inconcevable du côté francophone. Qu’il soit juif ou anglais, l’humour est souvent localisé et la langue, avec ou sans accents régionaux, y est souvent importante. Traduire Bruno Coppens (4) n’est pas chose aisée. Pourtant, il ne saurait être question d’assimiler humour et nation, ni humour et langue. Des chaînes de télévision diffusent des scènes de vidéo-gag planétaires et il est un certain nombre de francophones qui, sans être de « mauvais francophones » pour autant, préfèrent très largement Bert Kruysmans (5) à Thomas Gunzig (6).

« L’humour belge ne serait plus. Cela signifie qu’il aurait existé mais aurait disparu. Voilà une double assertion qui mériterait de reposer sur un examen plus approfondi. Est-on sûr qu’il y a eu un humour belge, réunissant Flamands et Wallons en 1830, voire avant, et en 1970 mais plus maintenant ? Et qu’aurait été ce belge humour ? Les fables bruxelloises de Pitje Schramouille (7) ne peuvent prétendre à ce titre, le pays ne se résumant pas à sa capitale. S’il devait y avoir un humour national, on peut penser que parmi ses traits distinctifs figurerait l’autodérision. Or, cette dernière était bien l’intention des concepteurs du fameux char d’Alost, même si certains esprits chagrins (y compris quelques incultes de l’UNESCO) la trouvent douteuse. 

« N’est-il pas rapide d’affirmer que Flamands et francophones (avec une distinction entre Wallons et Bruxellois ?) n’aiment pas les mêmes artistes  et dès lors ne partagent pas un même patrimoine culturel ? Il y a bien sûr des particularités mais box-office, liste de best-sellers et expositions à succès ne semblent pas autoriser une telle généralisation. Face à la mort éventuelle de la culture belge, il y a le volontarisme de ceux qui veulent croire dans les vertus de la mixité culturelle … et il y a tout simplement les faits.  Dans la même édition du Soir, il y a un compte-rendu de ‘L’entrée du Christ à Bruxelles’ de ce Flamand de Wallonie qu’est Dimitri Verhulst (8), une ‘fable féroce et drôle’. De quel humour s’agit-il ? » 


Voici ce qu’Henri Goldman écrit très pertinemment à ce sujet dans son blog : « Blesser des individus ou des groupes entiers pour le seul plaisir de faire un gag, c’est vraiment nul, mais c’est le prix à payer pour la liberté d’expression. Certains s’offusquent de l’ ‘insulte à la mémoire des 6 millions de juifs morts dans l’Holocauste’ faite à Alost, mais ne voient pas l’insulte faite à des centaines de millions de musulmans à Copenhague à travers la caricature de leur prophète. Comment ? Ça n’a rien à voir ? Mais qui êtes-vous pour le décréter ? Chaque groupe humain place le sacré où il l’entend. Désolé pour vous si vous n’avez pas été consulté ». Voir http://blogs.politique.eu.org/Alost-et-Copenhague
(5) Humoriste belge toujours très drôle. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Bert_Kruismans
(6) Ecrivain belge qui se croit toujours très drôle. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Gunzig
(7) Roger Kervyn de Marcke ten Driesche, Les fables de Pietje Schramouille, Bruxelles : Espace Nord, 2000.

1 commentaire:

  1. J'ai bien riz au lait mais j'adore quand même toujours Thomas Gunzig!

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