Pierre
Pestieau
De tous
temps de nombreux économistes ont abordé les grands indicateurs macroéconomiques
avec méfiance et critique. Qu’il s’agisse du taux de chômage ou du produit
national, ils remarquaient avec pertinence que ces indicateurs ne reflètent
qu’imparfaitement le volume de sous-emploi ou le niveau de l’activité économique.
D’où les nombreuses tentatives visant à développer des indicateurs plus précis
de l’emploi et du produit intérieur (PIB). Le problème avec cet exercice de
redressement est que chacun y va de sa correction et que si on met ces
corrections bout à bout on en arrive à des grandeurs qui posent problème :
une journée de travail de plus de 24 heures et un PIB gonflé sans vergogne.
A la
louche, on ajoute à l’emploi officiel les estimations les plus généreuses du
travail au noir, du travail domestique et du bénévolat et on arrive aisément
à plus que doubler le volume de l’emploi et partant de la production nationale.
A la une du Soir du 22 décembre 2012, le titre principal annonçait: Plus d'un
million de bénévoles en Belgique. Ce titre était aussitôt nuancé par : « Entre 1 million et 1,4 million de
citoyens sont impliqués dans des activités volontaires en Belgique, ce qui
correspond à environ 150.000 équivalents temps plein. » Mais que met-on dans ces
estimations ? Un peu de tout. Des activités purement bénévoles qui sont
sans doute plus proches du loisir que d’une activité productive et des emplois
salariés dans le secteur non-marchand, qui ressemblent diablement à des emplois
dans le secteur public (et qui sont donc déjà comptabilisés).
Et le travail domestique ? Le temps que l’on
y consacre est énorme. Globalement le nombre d’heures qui lui sont dédiées est
supérieur aux nombres d’heures passées par les actifs au travail professionnel.
La question clef est comment évaluer monétairement cette activité. Quel salaire
imputer à l’homme et à la femme qui accomplit les multiples tâches
domestiques ? Le salaire des gens de maison ou le salaire correspondant à
la formation des personnes concernées ? Quoi qu’il en soit, d’après les
estimations les plus courantes, les activités ménagères contribueraient à la
valeur du PIB marchand pour un tiers ou pour les trois quarts selon la méthode
choisie.
Et le travail au noir ? Ici aussi, il existe
un large éventail d’estimations de son importance. La Libre Belgique du 19 mars 2012 titrait : 4 Belges sur 10 concernés par le travail au noir. Plusieurs
estimations reprises par les médias donnent une fourchette de 15-20% pour
l’importance de l’économie souterraine (1). Tant qu’on y est on pourrait
essayer aussi d’évaluer la valeur monétaire du loisir. Après tout le loisir
représente un gain de bien-être pour l’individu. Et pourquoi pas le
sommeil ?
Une étude de l’OCDE (2)
donne une vue globale de l’usage que nous faisons de notre temps. Les 4
catégories principales sont le travail non rémunéré, les loisirs, le travail
rémunéré incluant les études, et les occupations personnelles ;
respectivement cela représente 14, 23,16 et 48% du temps total pour la
Belgique. Ces pourcentages sont les mêmes pour la France. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, ils représentent 13, 20,19 et 46 %. Les
Belges et les Français travaillent moins et prennent davantage de loisirs que les
citoyens de nombreux pays de l’OCDE, surtout les moins développés d’entre eux. Ce sont ces 16% d’heures consacrées au
travail rémunéré (et aux études) qui permettent de passer tant de temps au
repos, à la culture et à la famille, activités qui elles-mêmes contribuent à notre
bien-être et tout à la fois sont indispensables pour accomplir le travail
rémunéré. Pour conclure : le bon vieux concept de PIB a des défauts mais
on les connaît ; il se prête à des comparaisons dans le temps et dans l’espace,
ce qui n’est pas le cas des concepts alternatifs.
(1) Estimation de la fraude fiscale en Belgique, Hafsatou Diallo, Güngör Karakaya, Danièle
Meulders, Robert Plasman, Dulbea, Université Libre de Bruxelles, 2012.
(2) http://dx.doi.org/10.1787/soc_glance-2011-fr
Pierre bonjour,
RépondreSupprimerLes chiffres du Soir sur le bénévolat viennent d'estimations diverses effectuées en Belgique :
http://www.ces.ulg.ac.be/uploads/FICHES_-_La_mesure_du_volontariat_en_Belgique.pdf
Il s'agit bien de travail non rémunéré (et non de loisirs), généralement presté dans le secteur associatif. Il ne s'agit en rien d'emplois salariés qui eux sont en effet comptabilisés à l'ONSS et dans les chiffres de l'emploi en Belgique. Les deux montants, celui du bénévolat (150 000 ETP) et celui de l'emploi salarié s'ajoutent donc si on veut mesurer la force de travail dans les services de santé, le social,... Reste évidemment à discuter de la fiabilité de ce chiffre de 150 000 ETP...
Bien à toi
Michel Marée