jeudi 27 juin 2013

Shimon Peres ou Quand les Dieux se marrent

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Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien

Membre de la Knesset (Parlement israélien) de 1965 à 1973 et de 1979 à 1981, Uri Avnery est surtout connu comme militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu. Il appartient à une tendance de la gauche radicale israélienne et se définit comme post sioniste En 1982, il rencontre publiquement Yasser Arafat en vue de discuter d'une résolution du conflit. Il écrit régulièrement dans la presse israélienne et internationale. Voici ce qu’il écrit sur Shimon Peres, actuel Président de l’Etat d’Israël.

Si la vie de Peres était une pièce de théâtre comment faudrait-il la qualifier : de tragédie, de comédie ou de tragi-comédie? Pendant 60 ans, elle a ressemblé à la malédiction que les Dieux avaient imposée à Sisyphe : il devait pousser au sommet d’une montagne un rocher immense, qui retombait dans la vallée dès qu’il atteignait le sommet.

mercredi 26 juin 2013

Un mot malheureux

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Pierre Pestieau

Dans La Plaisanterie de Milan Kundera (1967) ou dans La Tache de Philip Roth (2000), un mot malheureux entraîne le héros dans une véritable descente aux enfers. Il a beau expliquer qu’il ne voulait pas dire ce qu’on a cru qu’il avait dit. Ç’est inutile. Au contraire ça l’enfonce davantage dans un cauchemar à la Kafka. C’est ce que montrent ces deux remarquables romans. C’est à eux que j’ai pensé quand j’ai reçu un courrier me reprochant d’avoir utilisé dans un petit ouvrage publié récemment avec Mathieu Lefebvre (1) une phrase qui témoignerait d’opinions et d’attitudes misogynes. Cette phrase donnée hors contexte se lit :

« Très longtemps, la famille était le vecteur de protection sociale le plus efficace. Elle l'est de moins en moins pour diverses raisons. La mobilité géographique, le travail des femmes, la nucléarisation de la famille, tout cela contribue à une certaine déliquescence de la solidarité familiale. »

Ma surprise fut grande parce que j’utilise souvent cette expression dans mes travaux sur la dépendance. On sait que l’augmentation de la longévité, entraîne une augmentation des besoins de soins à la dépendance. Ils devraient plus que doubler d’ici à 2050. Or la principale source de soins à la dépendance est la famille et dans la famille la grosse majorité de ce que l’on appelle les « aidants naturels » sont les femmes, les filles et les épouses ; les fils et les maris sont on ne peut plus « discrets ». On observe par ailleurs que la participation croissante et prolongée des femmes dans le marché du travail réduit le temps disponible aux tâches de soins, soins aux enfants, soins aux parents souffrant de perte d’autonomie. On remarque enfin que même si elles sont engagées dans le marché du travail, les femmes souffrent d’une « double peine » : elles continuent de s’occuper de leur foyer et d’assurer ces soins à la dépendance, mais la contrainte de temps limite leur disponibilité. Il existe d’ailleurs des études empiriques indiquant qu’une des raisons pour lesquelles certaines femmes prennent une retraite anticipée est l’apparition d’un phénomène de dépendance dans la famille, cette décision étant d’autant plus fréquente que leur salaire est faible et le coût marchand de la dépendance élevé.

Très souvent dans ces mêmes travaux, j’ai insisté sur les coûts psychologiques et physiques qu’entraînaient ces activités de soins et sur le fait que de nombreuses femmes sont souvent plus contraintes que volontaires quand il s’agit de les assurer. J’ai introduit à l’occasion le concept d’altruisme contraint fondé sur un norme familiale et non sur le libre arbitre. Ces coûts encourus par les aidants naturels sont d’autant plus élevés que l’aide est combinée avec un travail professionnel ou que l’aide n’est pas vraiment volontaire.

J’ai consacré plusieurs travaux à défendre le développement d’une véritable assurance sociale de la dépendance, ce que les Français ont appelés le cinquième risque, pour éviter que ces situations d’aide contrainte ne se multiplient. En permettant l’institutionnalisation de parents lourdement dépendants on évite à de nombreuses femmes de s’épuiser à la tâche et de perdre elle-même la santé. On a pu ainsi montrer que les coûts indirects de la dépendance, encourus par les aidants naturels, sont aussi élevés que les coûts directs, qu’entraîne la prise en charge des personnes dépendantes. Ce n’est pas par hasard que l’on observe depuis quelques années un léger déclin de la longévité en bonne santé chez les femmes qui continuent vivre de plus en plus longtemps.

Sans doute devrais-je dépasser le stade descriptif et déplorer le monde dans lequel nous vivons. Les hommes ont réduit leur participation au marché du travail et n’ont pas pris dans le ménage la place des femmes en devenant eux aussi « des aidants naturels ». En touchant des revenus supérieurs à ceux des femmes, ils ont beau jeu de demander à ces dernières d’arrêter de travailler pour s’occuper de parents dépendants au nom d’une saine économie domestique. Dois-je chaque fois me réjouir de cette participation accrue des femmes dans le marché du travail, participation qui leur permet d’échapper à cet altruisme forcé auquel il a été fait allusion ?

En conséquence, il me faudra à l’avenir faire une note de bas page aussi longue que ce blog dès que j’observe que les femmes travaillant de plus en plus et de plus en plus tard, on peut craindre que la famille ne puisse plus jouer son rôle historique devant les besoins croissants d’aide à la dépendance. Une  chanson  à succès (2) nous disait : Etre une femme libérée tu sais c'est pas si facile. Je la paraphraserais en écrivant : Etre un homme féministe tu sais c'est pas si facile, c’est sans doute impossible.

(1) L’Etat-providence en Europe, Performance et dumping social, CEPREMAP, Paris, 2012.
(2) Femme Libérée est une chanson du groupe strasbourgeois Cookie Dingler écrite en 1984.

jeudi 20 juin 2013

That’s not my problem

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Victor Ginsburgh

En Australie, j’ai vu un koala qui me regardait en clignant de ses petits yeux, quatre ou cinq kangourous qui sautillaient sur leurs pattes arrière, comme n’importe quel kangourou, un aborigène qui avait une queue de cheval et des piques dans les cheveux et, dans l’avion de Virgin Airlines qui me ramenait d’Adelaïde à Sydney, à quelques rangées devant moi, une vieille dame avec une petite valise qui demandait au steward de l’aider à la mettre dans le compartiment au-dessus de son siège. Le réponse du steward a été immédiate et fait le titre de mon blog : « That’s not my problem, I am not paid to do that » (1).

Well, c’est à peu près ce que me répondrait sans doute un(e) jeune si je lui demandais de me céder sa place assise dans le tram ou le métro, quelle que soit la ville européenne. Et je pourrais sans doute me considérer heureux qu’il (peut-être elle aussi d’ailleurs) ne m’ait pas fait le signe habituel du majeur levé, les autres doigts repliés, que font les automobilistes en 4x4 lorsque vous leur faites remarquer qu’ils n’ont pas respecté la priorité qui vous revenait, ou qu’ils ont « oublié » de signaler qu’ils changeaient de direction. Voire le piéton, ou le vélo qui traverse au feu rouge alors que vous vous apprêtez à passer au feu qui, devenu vert, vous est favorable. Et pour autant qu’il en ait le temps.

On finit par s’y faire et parfois on se reprend à leur rendre un aimable signe de la main pour se remercier soi-même de leur avoir cédé la priorité. Mais je n’avais jamais entendu ou lu ce que raconte Jouannais (2), que j’ai déjà cité il y a peu, mais son humour est inépuisable. Voici une citation tirée de son chapitre intitulé les Moi-Je :

«  Il existe, en région parisienne, deux stations-service équipées de jets de salissage. Il s’agit de dispositifs du genre Karcher destinés non pas à nettoyer les carrosseries, mais au contraire à les salir, en projetant de l’eau mêlée de boue synthétique. Les clients en sont des cadres dynamiques et très urbains, possesseurs de véhicules tout-terrain. Ces 4x4 sont bien évidemment conçus pour participer à des rallyes africains, et ne se trouvent aucunement adaptés à quelques petits trajets quotidiens entre la place de la Concorde et Neuilly. Aussi, autant pour justifier l’utilisation de tels véhicules—lesquels sont parfois équipés de pelles de désensablement et de jerrycans de sécurité—que pour éviter la honte du bluff le plus grotesque, les conducteurs en question font-ils salir leur véhicule d’aventurier pour faire comme si… Comme si, en effet, ils risquaient leur vie chaque week-end dans le désert du Néguev. L’art du Moi-Je, qui nous invite à d’émouvantes croisières dans les entrailles de nos créateurs, superposant la psyché de l’artiste et le cosmos, s’apparente assez à cette technique de salissage automatique ».

Tout compte fait, il est vrai qu’à Bruxelles, la place Stéphanie et le goulet de l’avenue Louise sont pleins de ces 4x4 vides et garés en double file, ce qui me porte à croire qu’il doit y avoir dans les parages une station de salissure et que leurs conducteurs et conductrices y attendent leur tour en prêtant leur chevelure à un brushing quotidien bien mérité. C’est décoiffant.


(1) « Ce n’est pas mon problème, je ne suis pas payé pour faire cela ».
(2) Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres, I would prefer not to, Paris : Editions Verticales/Phase Deux, 2009.

Courage, bougeons

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Pierre Pestieau

L’opinion de la société belge francophone telle qu’elle transparait dans les principaux medias est inquiétante par son irréalisme. Un irréalisme qui consiste à repousser les échéances ou à ne pas les voir, un peu comme ces adolescents attardés qui ne voudraient plus se regarder dans un miroir ou lire les pages des calendriers pour ignorer que le temps passe et qu’il y a longtemps qu’ils n’ont plus 15 ans. Témoin, ce secret espoir que le roi grâce à je ne sais quelle tisane de jouvence puisse rempiler pour encore au moins 10 ans. Ou encore l’espoir que la NVA puisse se dégonfler telle une baudruche. Or si l’un et l’autre espoir venaient à se concrétiser, rien ne serait résolu.  Prenons le cas de la NVA (je ne suis pas un expert des Saxe Cobourg Gotha), il est incontestable que l’ensemble des Flamands qui réfléchissent et qui ne sont pas nécessairement des aficionados de la NVA estiment que la Belgique a un besoin urgent de réformes et qu’une des raisons de la paralysie que nous connaissons vient du conservatisme des partis francophones qui ont depuis longtemps choisi de ne pas bouger par méfiance ou par crainte de perdre quelque chose. Quand ils bougent, c’est contraints et sans voir les conséquences des réformes qu’ils subissent.

J’ai récemment assisté à une série de présentations concernant la pauvreté et les inégalités en Belgique, aux Pays Bas ou en Suède (1). La situation belge est alarmante ; on assiste a un réel décrochage : malgré les dépenses sociales plus élevées, nous atteignons des nivaux de pauvreté inquiétants, particulièrement chez les enfants et les personnes âgées. Nous pourrions éviter cela même dans la conjoncture ambiante. Mais il faudrait alors cibler différemment la politique sociale en direction des familles où la pauvreté est la plus sévère. Il est par exemple urgent de tout faire pour éviter qu’un ménage n’ait aucune source de revenu du travail suffisant et que les ménages sans emploi soient d’avantage aidés. Cela pourrait se faire à budget constant mais demanderait des réformes qui pourraient remettre  en cause certains droits acquis.

Il est intéressant de noter une évolution récente suite à la dernière réforme de l’Etat. Dorénavant tous les leviers qui permettent d’améliorer le sort des familles avec enfants relèvent des pouvoirs décentralisés. La balle est ainsi dans le camp de chaque communauté. Les Flamands ne pourront plus blâmer les Francophones de freiner les réformes ; il sera intéressant de voir si les deux communautés mènent les mêmes politiques. Pas nécessairement. D’autant que la pauvreté chez les enfants est très élevée en Wallonie, proche de celle qui sévit en Roumanie et en Bulgarie ; elle est bien moins élevée en Flandre mais néanmoins préoccupante. Je ne suis pas sûr que les autorités francophones aient pris la mesure de ces nouvelles responsabilités.

Quant aux personnes âgées où la pauvreté sévit aussi, tous les leviers restent aux mains du pouvoir fédéral et c’est à ce niveau qu’il faut craindre des blocages. On peut espérer qu’ils disparaissent sous la pression de l’urgence, ce qui éviterait une nouvelle (et sans doute définitive) réforme de l’Etat.

(1) Ces contributions seront présentées à l’occasion du prochain Congrès des économistes belges de langue française consacré au « Modèle social belge ». Voir http://www.cifop.be/evenements.php?id=1359Il se tiendra le 21 novembre 2013 à Charleroi, agglomération où le modèle social belge est mis à l’épreuve. 

jeudi 13 juin 2013

L’argent qui pourrit (1)

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Pierre Pestieau

Pendant mon enfance, on ne parlait pas d’argent en famille. Peut-être était-ce parce qu’il n’y en avait pas beaucoup, mais dans la morale familiale, c’était plutôt une affaire de « bon goût ». Plus tard, j’ai lu et entendu que les Belges et les Français ne parlaient pas d’argent alors que les Américains ne s’en privaient pas. Mais je me suis aussi rendu compte que ne pas en parler, ne veut pas dire que l’on ne n’y pense pas. Les Tartuffes de l’argent sont plus fréquent que les Tartuffes du sexe.

Ces traditions perdurent dans le monde universitaire. Aux Etats-Unis, on peut trouver sur la toile ce que gagne tout un chacun dans la plupart des universités publiques. En Europe, pendant très longtemps, le revenu était le même pour tous à ancienneté donnée. Les ressources d’origine familiale et depuis plusieurs années les suppléments de salaires restent dans l’ombre.

A l’occasion de l’opération glasnost lancée par François Hollande, le patrimoine des ministres est du domaine public et on ne peut que s’amuser des dits et des non-dits de la classe médiatique et politique. J’ai lu quelque part qu’il était difficile pour des ministres de cohabiter s’ils disposent d’un patrimoine trop différent. Comme il s’agit d’un gouvernement de gauche, un patrimoine supérieur à la moyenne nationale choque ; mais comme nous vivons au XXIème siècle, un patrimoine inférieur à la moyenne nationale est interprété comme un signal d’incompétence. Dure, dure la politique. Y aurait-il un niveau de richesse optimal qui soit acceptable par l’opinion ?

Ce qui me semble important c’est que chacun se rende compte de sa position dans l’échelle des revenus et surtout de celle des autres. J’entends souvent des collègues (universitaires) se plaindre du salaire de misère (et plus tard, des retraites) qu’ils touchent. L’un d’entre eux m’a un jour dit qu’il ne travaillait pas plus d’une demi-journée par semaine pour l’institution qui l’engage, puisqu’en cinq heures de consulting il touche  le revenu que lui verse son université pour les cinq heures de cours qu’il y fait. Il importe de rappeler ici que les professeurs d’université appartiennent au décile supérieur de la distribution des revenus et ont, en outre, un travail passionnant et une liberté quasi absolue.

Autre situation choquante. Quelqu’un me dit qu’il touchera une retraite complémentaire tellement ridicule qu’il se demande s’il va faire les démarches requises pour la toucher. Je lui en demande le montant : 600 euros, à peu de chose près, la moitié de la retraite médiane des Belges et des Français.

Je terminerai par une anecdote qui me reste encore en travers de la gorge. Il y a une bonne vingtaine d’années, je participais à une réunion de type « think tank » de jeunes militants du PS à Paris. Tous avaient déjà une position importante puisqu’ils étaient venus pour la plupart en taxi ou avec leur chauffeur particulier ; en tout cas pas en métro. L’invité de la soirée était le directeur de la RATP de l’époque, Christian Blanc,  auquel je faisais observer que certaines voitures de métro portaient toujours l’inscription « première classe » ; elles me semblaient moins remplies que les autres parce que certains passagers pensaient que la distinction de classe était toujours en vigueur. Personne ni bien sûr le directeur de la RATP ne s’était rendu compte de cette situation ; tous avouaient sans honte « métro connaît pas ».

(1) Cette expression fait référence à la phrase de François Mitterand énoncée il y a  quarante ans, lors du congrès d’Épinay : « l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience 
des hommes ». Elle a été abondamment reprise à l’occasion de l’affaire Cahuzac.

La dernière chemise n’a pas de poches

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Victor Ginsburgh

Je reviens de loin mais, rassurez-vous, et en dépit de ce que dit le joli proverbe allemand à propos de la dernière chemise qui n’a pas de poches  (1), je voyage avec mon ordinateur qui, à tort ou à raison, me garde en contact avec le reste du monde. En tout cas dans les aéroports et gares où l’accès à l’internet et au courriel (comme disait déjà Molière) sont possibles. C’est le cas à Helsinki, Tokyo, Vienne, Toulouse, Newark, Abu Dhabi, Sydney, Adelaide et même à Kiev, Odessa, Moscou ou Ekaterinburg, bref dans le monde dont on dit qu’il est « démocratique », y compris sans doute à Naypyidaw, capitale du Myanmar qui vient d’accéder à cette qualité. Je n’ai essayé ni Pyong-Yang, ni Pékin, ni Tel Aviv, ni Minsk durant ces dernières années.

Mais à l’aéroport, comme dans les gares de Bruxelles, capitale de la soi-disant Europe de l’Islande à Chypre, il faut payer ce service dont le coût marginal est nul.

Le problème n’est pas tant les quelques euros que les sociétés qui ne se mouchent jamais du pied, chargent à l’heure (jamais utilisée dans sa totalité, d’ailleurs), mais les acrobaties à exécuter pour se brancher sur le réseau. Il faut une carte de crédit acceptable, en découvrir le numéro qui se trouve sur l’avers comme sur le derrière (on se demande d’ailleurs à quoi il sert, je parle du numéro bien sûr, pas du derrière) pour être, selon le temps qu’il fait, accepté ou refusé et voir l’avion ou le train envolés, pour une fois sans retard.

La remarque sur les Thalys est particulièrement subtile et signale :

« WiFi internet à bord pour tous. Profitez d’une connexion WiFi accessible dans tous nos trains quelle que soit leur classe de confort choisie. En Comfort 1 ce service est gracieusement offert ».

Je suppose que la classe confort avec N est différente de la classe Comfort 1 avec M, bien plus gracieuse, ce qui explique tout, évidemment.

Est-il vraiment nécessaire et rentable de faire payer de façon compliquée ce qui ne coûte rien—en tous cas à l’étranger—dans ces aéroports et ces gares, où les retards des avions et des trains, y compris des Thalys et autres TGV, sont annoncés par un laconique  « veuillez nous excuser, nous sommes irresponsables ». En attendant le miraculeux train Bruxelles-Amsterdam qui roule à 300 Km/H mais s’enrhume à la vue d’un flocon de neige. Moi aussi d’ailleurs, mais je ne suis pas un train.

A quand l’internet gratuit à l’aéroport et dans les gares de la capitale de l’Europe ? Ca compenserait un peu les trente minutes d’attente pour voir apparaître les bagages et les trimballer entre l’aéroport et Bruxelles, dans ce train où rien n’est prévu pour déposer la moindre valise, comme si c’était le dernier voyage : sans bagage et sans chemise de rechange.



(1) Das letzte Hemd hat keine Taschen. Merci M.B.

mercredi 5 juin 2013

A vendre et à voler

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Victor Ginsburgh

On vient d’apprendre (avec une certaine consternation affichée par la presse et par les agriculteurs du coin) qu’un terrain agricole de 10 hectares s’est récemment vendu en Belgique au prix de 500.000 euros. Il s’agit bien évidemment d’une transaction spéculative, qui risque de faire monter l’ensemble des prix des terres dans la région, ce dont se plaignent, en toute logique, certains agriculteurs désireux d’étendre leurs terres.

Ce qui ne doit pas nous faire oublier que ces pratiques sont en vigueur depuis bien longtemps en Afrique, en Amérique du Sud, et en Asie. Mais c’est manifestement l’Afrique (en particulier Madagascar, Ethiopie, Tanzanie, Soudan et République Démocratique du Congo) qui paraît en souffrir le plus. Ces terres ne sont évidemment pas payées 50.000 euros l’hectare. Elles sont soustraites par les gouvernements aux populations qui les cultivent, à des prix que l’on peut deviner, mais qui n’atteignent probablement pas  un millième du prix belge. Ces sommes ne vont, comme on peut aussi le deviner, pas dans la poche des paysans qui sont à peine compensés. Dans bon nombre de cas, les terres sont louées pour des durées comprises entre 25 and 99 ans à moins de 8 euros par an.

La Banque Mondiale estime qu’entre octobre 2008 et août 2009, 46 millions d’Ha (mais une estimation plus réaliste semble plutôt être de l’ordre de 80 millions) situés en Afrique ont fait l’objet de contrats avec des firmes étrangères.

Ce vol des terres (grabbing est le terme consacré en anglais) est évidemment associé au vol des réserves d’eau qu’elles contiennent ou qui y sont déversées par les pluies et dont on dit souvent qu’elles seront la prochaine ressource la plus rare. Un récent article dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (US) sonne l’alarme (1). Les auteurs estiment que la consommation annuelle d’eau sur ces 46 milliards de terres « volées » pourrait s’élever à 450 milliards de mètres cubes qui sont également dérobés à l’agriculture locale.

C’est d’autant plus désespérant que ces terres servent le plus souvent à produire du soja, de l’huile de palme, ou de la canne à sucre qui seront transformés en éthanol, au mépris de la pénurie alimentaire endémique dans les pays dépossédés. Sans compter les dommages écologiques créés par ces plantations qui appauvrissent les terres.

Les terres agricoles ne sont pas seules à pâtir de vols. Les accords de pêche qui permettent aux pays étrangers de pêcher dans des eaux appartenant à d’autres pays sont très peu respectés. Par la Chine en particulier. Officiellement, elle a obtenu les autorisations de pêcher le long des côtes occidentales de l’Afrique (une fois de plus, l’Afrique), mais elle déclare 370.000 tonnes de prises par an (entre 2000 et 2011), alors qu’elle pêche 4,5 millions de tonnes (2).

Regardons passer le temps. La vita e bella.

(1) M.C. Rulli, A. Saviori and P. D’Odorica, Global land and water grabbing, Proceedings of the National Academy of Sciences, 110, 892-897 (January 15, 2013).
(2) G. Klein, Les pêcheries chinoises écument les côtes africaines, Le Figaro, 5 avril 2013.

Débrancher grand-père avant que les droits de succession n'augmentent

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Pierre Pestieau
Peut-on reporter ou avancer de plusieurs jours des événements démographiques tels que la mort ou la naissance. On peut débrancher un parent ou en déclarer le décès avec quelques jours de retard. Une naissance peut être provoquée ou déclarée avec retard. Mais pourquoi jouer ainsi avec le calendrier ?
Il existe plusieurs raisons : Un héritage qui serait lié à une naissance lors de telle ou telle année ou le désir de voir son enfant entrer dans une classe plutôt que dans une autre là où l’année civile de naissance détermine la classe dans laquelle un enfant est inscrit. Il y a aussi des raisons d’ordre psychologique. A New York, le nombre de décès a été de 51% supérieur lors de la première semaine de l’an 2000 que durant la semaine précédente. La seule explication possible est que le désir de voir le nouveau millénaire a poussé de nombreuses personnes à surseoir à une mort annoncée
La raison la plus fréquente est cependant d’ordre fiscal. Il arrive régulièrement que le premier janvier une hausse ou une réduction d’impôt ou l’introduction ou la suppression d’une subvention rende plus attractif de naître ou de mourir le 31 décembre ou le 1er janvier selon le cas. Voici deux exemples plus spécifiques qui nous entrainent aux Etats Unis et en Australie.  En Australie, les naissances ont explosé le 1er juillet 2004. Le gouvernement australien avait en effet décidé quelques semaines auparavant d’accorder une allocation de naissance de $3000 à dater du 1er juillet (1). Les Etats Unis ont connu de nombreuses réformes dont tout récemment celle qui mena à la trop fameuse falaise fiscale (fiscal cliff), non encore résolue Les droits de succession avaient été supprimés en 2009 pour réapparaître le 1er janvier 2010 au taux de 35%. La tentation de débrancher grand-père le 31 décembre 2009 a sans doute effleuré bien des esprits L’impact démographique de ce changement n’a, à ma connaissance, pas encore été étudié.
En revanche, Kopczuk et Slemrod (2) ont analysé ce qui s’est passé à l’occasion de 13 réformes antérieures des droits de succession (de 1913 à 1984) en se concentrant sur les deux semaines encadrant la mise en application de la réforme. Ils ont épluché des milliers de dossiers pour tester la conjecture qu’il existerait une variation notable dans le nombre de décès, liée à la possibilité de payer moins  (ou pas davantage) de droits de succession. Le résultat n’est pas surprenant. La possibilité d'économiser 10 000 dollars sur l'impôt augmente de 1,6 % la probabilité de mourir dans le bon créneau temporel. On aurait aimé en savoir plus sur les caractéristiques socioculturelles de ces légataires « débrancheurs » mais les données ne le permettaient pas. On peut en outre penser que dans certains cas le parent mourant était complice de l’opération. L’altruisme parental ne connaît manifestement pas de limites.

(1) Joshua S. Gans et Andrew Leigh (2009), Born on the first of July: An (un)natural experiment in birth timing Journal of Public Economics,  93,  246–263
(2) Wojciech Kopczuk and Joel Slemrod, (2003), Dying to save taxes: evidence from estate-tax returns on the death elasticity, The Review of Economics and Statistics, 85, 256-265