Pierre Pestieau
L’opinion de la société belge francophone telle qu’elle transparait dans
les principaux medias est inquiétante par son irréalisme. Un irréalisme qui
consiste à repousser les échéances ou à ne pas les voir, un peu comme ces
adolescents attardés qui ne voudraient plus se regarder dans un miroir ou lire
les pages des calendriers pour ignorer que le temps passe et qu’il y a
longtemps qu’ils n’ont plus 15 ans. Témoin, ce secret espoir que le roi grâce à
je ne sais quelle tisane de jouvence puisse rempiler pour encore au moins 10
ans. Ou encore l’espoir que la NVA puisse se dégonfler telle une baudruche. Or
si l’un et l’autre espoir venaient à se concrétiser, rien ne serait résolu. Prenons le cas de la NVA (je ne suis
pas un expert des Saxe Cobourg Gotha), il est incontestable que l’ensemble des
Flamands qui réfléchissent et qui ne sont pas nécessairement des aficionados de
la NVA estiment que la Belgique a un besoin urgent de réformes et qu’une des
raisons de la paralysie que nous connaissons vient du conservatisme des partis
francophones qui ont depuis longtemps choisi de ne pas bouger par méfiance ou par
crainte de perdre quelque chose. Quand ils bougent, c’est contraints et sans
voir les conséquences des réformes qu’ils subissent.
J’ai récemment assisté à une série de présentations concernant la pauvreté
et les inégalités en Belgique, aux Pays Bas ou en Suède (1). La situation belge
est alarmante ; on assiste a un réel décrochage : malgré les dépenses
sociales plus élevées, nous atteignons des nivaux de pauvreté inquiétants,
particulièrement chez les enfants et les personnes âgées. Nous pourrions éviter
cela même dans la conjoncture ambiante. Mais il faudrait alors cibler
différemment la politique sociale en direction des familles où la pauvreté est
la plus sévère. Il est par exemple urgent de tout faire pour éviter qu’un ménage
n’ait aucune source de revenu du travail suffisant et que les ménages sans
emploi soient d’avantage aidés. Cela pourrait se faire à budget constant mais
demanderait des réformes qui pourraient remettre en cause certains droits acquis.
Il est intéressant de noter une évolution récente suite à la dernière
réforme de l’Etat. Dorénavant tous les leviers qui permettent d’améliorer le
sort des familles avec enfants relèvent des pouvoirs décentralisés. La balle
est ainsi dans le camp de chaque communauté. Les Flamands ne pourront plus
blâmer les Francophones de freiner les réformes ; il sera intéressant de
voir si les deux communautés mènent les mêmes politiques. Pas nécessairement. D’autant
que la pauvreté chez les enfants est très élevée en Wallonie, proche de celle
qui sévit en Roumanie et en Bulgarie ; elle est bien moins élevée en
Flandre mais néanmoins préoccupante. Je ne suis pas sûr que les autorités
francophones aient pris la mesure de ces nouvelles responsabilités.
Quant aux personnes âgées où la pauvreté sévit aussi, tous les leviers
restent aux mains du pouvoir fédéral et c’est à ce niveau qu’il faut craindre
des blocages. On peut espérer qu’ils disparaissent sous la pression de
l’urgence, ce qui éviterait une nouvelle (et sans doute définitive) réforme de
l’Etat.
(1) Ces contributions seront présentées à l’occasion du
prochain Congrès des économistes belges
de langue française consacré au « Modèle
social belge ». Voir http://www.cifop.be/evenements.php?id=1359Il se tiendra le 21 novembre 2013 à
Charleroi, agglomération où le modèle social belge est mis à l’épreuve.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire