Victor Ginsburgh
On vient d’apprendre (avec une certaine
consternation affichée par la presse et par les agriculteurs du coin) qu’un
terrain agricole de 10 hectares s’est récemment vendu en Belgique au prix de
500.000 euros. Il s’agit bien évidemment d’une transaction spéculative, qui
risque de faire monter l’ensemble des prix des terres dans la région, ce dont
se plaignent, en toute logique, certains agriculteurs désireux d’étendre leurs
terres.
Ce qui ne doit pas nous faire oublier que ces
pratiques sont en vigueur depuis bien longtemps en Afrique, en Amérique du Sud,
et en Asie. Mais c’est manifestement l’Afrique (en particulier Madagascar, Ethiopie,
Tanzanie, Soudan et République Démocratique du Congo) qui paraît en souffrir le
plus. Ces terres ne sont évidemment pas payées 50.000 euros l’hectare. Elles
sont soustraites par les gouvernements aux populations qui les cultivent, à des
prix que l’on peut deviner, mais qui n’atteignent probablement pas un millième du prix belge. Ces sommes
ne vont, comme on peut aussi le deviner, pas dans la poche des paysans qui sont
à peine compensés. Dans bon nombre de cas, les terres sont louées pour des
durées comprises entre 25 and 99 ans à moins de 8 euros par an.
La Banque Mondiale estime qu’entre octobre 2008 et
août 2009, 46 millions d’Ha (mais une estimation plus réaliste semble plutôt
être de l’ordre de 80 millions) situés en Afrique ont fait l’objet de contrats
avec des firmes étrangères.
Ce vol des terres (grabbing est le terme consacré
en anglais) est évidemment associé au vol des réserves d’eau qu’elles
contiennent ou qui y sont déversées par les pluies et dont on dit souvent
qu’elles seront la prochaine ressource la plus rare. Un récent article dans les
Proceedings of the National Academy of
Sciences (US) sonne l’alarme (1). Les auteurs estiment que la consommation
annuelle d’eau sur ces 46 milliards de terres « volées » pourrait
s’élever à 450 milliards de mètres cubes qui sont également dérobés à
l’agriculture locale.
C’est d’autant plus désespérant que ces terres
servent le plus souvent à produire du soja, de l’huile de palme, ou de la canne
à sucre qui seront transformés en éthanol, au mépris de la pénurie alimentaire
endémique dans les pays dépossédés. Sans compter les dommages écologiques créés
par ces plantations qui appauvrissent les terres.
Les terres agricoles ne sont pas seules à pâtir de
vols. Les accords de pêche qui permettent aux pays étrangers de pêcher dans des
eaux appartenant à d’autres pays sont très peu respectés. Par la Chine en
particulier. Officiellement, elle a obtenu les autorisations de pêcher le long
des côtes occidentales de l’Afrique (une fois de plus, l’Afrique), mais elle
déclare 370.000 tonnes de prises par an (entre 2000 et 2011), alors qu’elle
pêche 4,5 millions de tonnes (2).
Regardons passer le temps. La vita e bella.
(1)
M.C. Rulli, A. Saviori and P. D’Odorica, Global land and water grabbing, Proceedings of the National Academy of
Sciences, 110, 892-897 (January 15, 2013).
(2) G.
Klein, Les pêcheries chinoises écument les côtes africaines, Le Figaro, 5 avril 2013.
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