mercredi 5 juin 2013

A vendre et à voler


Victor Ginsburgh

On vient d’apprendre (avec une certaine consternation affichée par la presse et par les agriculteurs du coin) qu’un terrain agricole de 10 hectares s’est récemment vendu en Belgique au prix de 500.000 euros. Il s’agit bien évidemment d’une transaction spéculative, qui risque de faire monter l’ensemble des prix des terres dans la région, ce dont se plaignent, en toute logique, certains agriculteurs désireux d’étendre leurs terres.

Ce qui ne doit pas nous faire oublier que ces pratiques sont en vigueur depuis bien longtemps en Afrique, en Amérique du Sud, et en Asie. Mais c’est manifestement l’Afrique (en particulier Madagascar, Ethiopie, Tanzanie, Soudan et République Démocratique du Congo) qui paraît en souffrir le plus. Ces terres ne sont évidemment pas payées 50.000 euros l’hectare. Elles sont soustraites par les gouvernements aux populations qui les cultivent, à des prix que l’on peut deviner, mais qui n’atteignent probablement pas  un millième du prix belge. Ces sommes ne vont, comme on peut aussi le deviner, pas dans la poche des paysans qui sont à peine compensés. Dans bon nombre de cas, les terres sont louées pour des durées comprises entre 25 and 99 ans à moins de 8 euros par an.

La Banque Mondiale estime qu’entre octobre 2008 et août 2009, 46 millions d’Ha (mais une estimation plus réaliste semble plutôt être de l’ordre de 80 millions) situés en Afrique ont fait l’objet de contrats avec des firmes étrangères.

Ce vol des terres (grabbing est le terme consacré en anglais) est évidemment associé au vol des réserves d’eau qu’elles contiennent ou qui y sont déversées par les pluies et dont on dit souvent qu’elles seront la prochaine ressource la plus rare. Un récent article dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (US) sonne l’alarme (1). Les auteurs estiment que la consommation annuelle d’eau sur ces 46 milliards de terres « volées » pourrait s’élever à 450 milliards de mètres cubes qui sont également dérobés à l’agriculture locale.

C’est d’autant plus désespérant que ces terres servent le plus souvent à produire du soja, de l’huile de palme, ou de la canne à sucre qui seront transformés en éthanol, au mépris de la pénurie alimentaire endémique dans les pays dépossédés. Sans compter les dommages écologiques créés par ces plantations qui appauvrissent les terres.

Les terres agricoles ne sont pas seules à pâtir de vols. Les accords de pêche qui permettent aux pays étrangers de pêcher dans des eaux appartenant à d’autres pays sont très peu respectés. Par la Chine en particulier. Officiellement, elle a obtenu les autorisations de pêcher le long des côtes occidentales de l’Afrique (une fois de plus, l’Afrique), mais elle déclare 370.000 tonnes de prises par an (entre 2000 et 2011), alors qu’elle pêche 4,5 millions de tonnes (2).

Regardons passer le temps. La vita e bella.

(1) M.C. Rulli, A. Saviori and P. D’Odorica, Global land and water grabbing, Proceedings of the National Academy of Sciences, 110, 892-897 (January 15, 2013).
(2) G. Klein, Les pêcheries chinoises écument les côtes africaines, Le Figaro, 5 avril 2013.

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