Pierre Pestieau
Peut-on reporter ou avancer de plusieurs jours des événements
démographiques tels que la mort ou la naissance. On peut débrancher un parent
ou en déclarer le décès avec quelques jours de retard. Une naissance peut être
provoquée ou déclarée avec retard. Mais pourquoi jouer ainsi avec le
calendrier ?
Il existe plusieurs raisons : Un héritage qui serait lié à une
naissance lors de telle ou telle année ou le désir de voir son enfant entrer
dans une classe plutôt que dans une autre là où l’année civile de naissance détermine
la classe dans laquelle un enfant est inscrit. Il y a aussi des raisons d’ordre
psychologique. A New York, le nombre de décès a été de 51% supérieur lors de la
première semaine de l’an 2000 que durant la semaine précédente. La seule
explication possible est que le désir de voir le nouveau millénaire a
poussé de nombreuses personnes à surseoir à une mort annoncée
La raison la plus fréquente est cependant d’ordre fiscal. Il arrive régulièrement
que le premier janvier une hausse ou une réduction d’impôt ou l’introduction ou
la suppression d’une subvention rende plus attractif de naître ou de mourir le
31 décembre ou le 1er janvier selon le cas. Voici deux exemples plus spécifiques
qui nous entrainent aux Etats Unis et en Australie. En Australie, les naissances ont explosé le 1er
juillet 2004. Le gouvernement australien avait en effet décidé quelques
semaines auparavant d’accorder une allocation de naissance de $3000 à dater du
1er juillet (1). Les Etats Unis ont connu de nombreuses réformes
dont tout récemment celle qui mena à la trop fameuse falaise fiscale (fiscal
cliff), non encore résolue Les droits de succession avaient été supprimés en
2009 pour réapparaître le 1er janvier 2010 au taux de 35%. La
tentation de débrancher grand-père le 31 décembre 2009 a sans doute effleuré
bien des esprits L’impact démographique de ce changement n’a, à ma
connaissance, pas encore été étudié.
En revanche, Kopczuk et Slemrod (2) ont analysé ce qui s’est passé à l’occasion de 13
réformes antérieures des droits de succession (de 1913 à 1984) en se
concentrant sur les deux semaines encadrant la mise en application de la
réforme. Ils ont épluché des milliers de dossiers pour tester la conjecture
qu’il existerait une variation notable dans le nombre de décès, liée à la
possibilité de payer moins (ou pas davantage) de
droits de succession. Le résultat n’est pas surprenant. La possibilité
d'économiser 10 000 dollars sur l'impôt augmente de 1,6 % la probabilité de mourir dans le bon créneau temporel. On aurait aimé en savoir plus sur les
caractéristiques socioculturelles de ces légataires « débrancheurs »
mais les données ne le permettaient pas. On peut en outre penser que dans
certains cas le parent mourant était complice de l’opération. L’altruisme
parental ne connaît manifestement pas de limites.
(1) Joshua S. Gans et Andrew
Leigh (2009), Born on the first of July: An (un)natural experiment in
birth timing Journal
of Public Economics, 93, 246–263
(2) Wojciech
Kopczuk and Joel Slemrod, (2003), Dying
to save taxes: evidence from estate-tax returns on the death elasticity, The
Review of Economics and Statistics, 85, 256-265
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