Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien
Membre de la Knesset (Parlement israélien) de 1965 à 1973
et de 1979 à 1981, Uri Avnery est surtout connu comme militant
des droits des palestiniens et pacifiste convaincu. Il appartient à une
tendance de la gauche radicale israélienne et se définit comme post sioniste En 1982, il rencontre
publiquement Yasser Arafat en vue de discuter d'une résolution du conflit. Il
écrit régulièrement dans la presse israélienne et internationale. Voici ce
qu’il écrit sur Shimon Peres, actuel Président de l’Etat d’Israël.
Si la vie de Peres était une pièce de théâtre comment
faudrait-il la qualifier : de tragédie, de comédie ou de tragi-comédie? Pendant
60 ans, elle a ressemblé à la malédiction que les Dieux avaient imposée à
Sisyphe : il devait pousser au sommet d’une montagne un rocher immense,
qui retombait dans la vallée dès qu’il atteignait le sommet.
Un va-t-en guerre
qui ne va pas à la guerre
Arrivé en Palestine avec sa famille, il est envoyé dans
un kibboutz, où il fait immédiatement preuve de sa perspicacité politique. Il
est instructeur dans un mouvement de jeunesse socialiste qui se scinde en deux
groupes : ses amis rejoignent le groupe de gauche, lui reste fidèle au
parti au pouvoir, le Mapai, et se fait remarquer par ses aînés.
La guerre de 1948, que nous considérions tous comme un
combat pour la vie, le conduit à un choix beaucoup plus important. La plupart
des jeunes choisissent les unités combattantes. Peres se fait envoyer à
l’étranger par Ben-Gourion pour acheter des armes—une tâche capitale
évidemment, mais qui aurait pu être accomplie par un cadre plus âgé. Peres est
considéré comme un tire-au-flanc et ses collègues ne le lui ont jamais
pardonné : leur mépris l’a poursuivi pendant bien des années.
A 30 ans, Ben-Gourion le nomme directeur au Ministère de
la Défense—une promotion importante, qui lui permet une ascension rapide. Et en
effet, il joue un rôle majeur en poussant Ben-Gourion à engager le pays dans la
guerre de Suez (1956), aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne. A mon
avis, cette guerre a été un désastre politique pour Israël et a creusé l’abîme
entre le nouvel Etat et le monde arabe. Mais les Français font preuve de
gratitude en lui « donnant » le réacteur nucléaire de Dimona.
Pendant cette période, Peres se montre particulièrement
va-t-en guerre, et fait partie d’un groupe que la revue que je dirigeais à
l’époque a soupçonné de vouloir accéder au pouvoir en utilisant des moyens peu
démocratiques. Mais avant que ceci ne se produise, Ben-Gourion se fait éjecter
par les vétérans avec lesquels il avait combattu, et Peres est forcé de le
suivre dans son exil politique. Ils forment alors un nouveau parti, le Rafi,
qui, en dépit du fait que Peres se bat comme un lion, n’obtient que 10 sièges
au Parlement. Voilà Peres-Sisyphe qui retombe de la montagne avec son rocher.
Premières tentatives
ratées
Sa rédemption arrive avec la guerre des Six Jours (1967).
Le Rafi se voit proposer de faire partie d’un gouvernement d’union nationale.
Mais le premier prix va à Moshe Dayan nommé Ministre de la Défense. Peres reste
dans l’ombre.
L’occasion suivante se présente après la guerre de 1973.
Golda Meir et Dayan se font remercier. Peres est le candidat évident au poste
de Premier Ministre. Mais voilà, à la dernière minute apparaît Yitzhak Rabin
qui, venu de nulle part, devient chef du gouvernement. Peres hérite du
Ministère de la Défense.
Complots et
construction de la première colonie en Palestine occupée
Pendant les trois années qui suivent, Peres utilise tous
les moyens pour saper Rabin, en permettant, entre autre à des extrémistes de
droite de construire la première colonie au cœur des territoires occupés (en
Cisjordanie). La qualité d’« infatigable donneur de coups de poignard dans
le dos » que lui donne Rabin lui colle encore à la peau.
Ce chapitre se termine par l’épisode du « compte en
dollars » de Rabin. Lorsqu’il quitte son poste d’ambassadeur à Washington,
Rabin garde un compte bancaire aux Etats-Unis. En ce temps-là, c’était interdit
et passible d’amende, mais Rabin démissionne pour protéger sa femme.
Nouvelles tentatives
ratées, tournages de veste et re-complots
Enfin, la voie est libre. Peres prend la tête du parti
travailliste et se présente aux élections. Les travaillistes devaient remporter
l’élection, comme cela avait toujours été le cas depuis 44 ans. Mais, les Dieux
ont souri. Peres réalise l’inimaginable : les travaillistes perdent.
Menachem Begin est élu et fera la paix avec l’Egypte. Moshe Dayan, le
concurrent de Peres est à ses côtés.
Elections de 1981. Juste avent le décompte complet, face
à une caméra, Peres est donné vainqueur. Pas de chance. Israël se réveille avec
Begin au pouvoir.
Peres et Rabin poussent Begin à envahir le Liban. Après
la débâcle israélienne, Peres s’affiche lors d’une immense manifestation et
condamne la guerre.
Les élections qui suivent se soldent par un ex-æquo.
Peres devient Premier Ministre, mais une rotation est prévue. Lorsque vient le
tour de Shamir, Peres essaie de l’évincer dans un complot douteux, que Rabin
qualifiera d’« exercice puant ».
L’impopularité de Peres atteint de nouveaux sommets.
Durant les meetings électoraux, il est insulté et reçoit des tomates. Lors
d’une réunion du parti, il demande s’il est réellement « un
perdant ». « Oui » lui répond-on à l’unisson.
Il se fait faire un lifting pour changer son air de chien
battu. Mais aucun remède chirurgical ne pouvait changer son absence de grâce.
Pas plus que ses dons oratoires. Cet homme qui avait prononcé plusieurs
milliers de discours n’a jamais exprimé la moindre idée originale. Juste des
platitudes énoncées d’une voix grave, voix dont, par ailleurs, tout politicien
rêve.
Il devient colombe
et rafle le Prix Nobel de la Paix
Entre-temps, Peres le va-t-en guerre devient colombe. Il
prend part aux accords d’Oslo, mais c’est Rabin qui recueille les lauriers.
Après Oslo, le comité Nobel envisage d’attribuer le Prix de la Paix à Rabin et
Arafat. La pression fait inclure Peres, ce qui exclut Mahmoud Abbas qui avait,
comme Peres, signé l’accord (le prix étant donné à trois personnes au plus).
Assassinat de
Rabin ; devient Premier Ministre par défaut, mais pas pour longtemps
L’assassinat de Rabin est un tournant pour Peres, qui
apparaît à la tribune à ses côtés. Après avoir entonné le « chant de la
paix », il descend les marches et passe devant Yigal Amir qui attend son
arme à la main. Le meurtrier laisse tranquillement passer Peres et tue
Rabin—une autre insulte, si l’on peut dire.
Enfin, Peres réalise son but. Il devient Premier
Ministre. La chose évidente à faire est d’appeler à de nouvelles élections, en
se présentant comme héritier du dirigeant assassiné. Il aurait largement gagné.
Mais il veut être élu sur base de ses propres mérites et postpose l’élection.
Les résultats sont désastreux. Peres donne l’ordre
d’assassiner Yahya Ayyash, l’« ingénieur » qui préparait les bombes
du Hamas. Les représailles se font très rapidement sentir et Israël se trouve
pris dans un tsunami d’attentats suicide. Alors, Peres envahit le Sud Liban, un
moyen sûr, pense-t-il, d’accroître sa popularité. Mais la chose tourne mal,
l’artillerie israélienne provoque un massacre dans un camp de réfugiés géré par
les Nations Unies, et l’opération s’achève de façon peu glorieuse. Peres perd
les élections, et Netanyahou prend le pouvoir.
Lorsqu’un peu plus tard, Ariel Sharon est élu, Peres lui
offre ses services, ce qui efface partiellement l’image sanglante qui poursuit
le général Sharon dans le monde.
Enfin, Président
malgré lui
Malgré sa longue vie politique, Peres n’a jamais remporté
la moindre élection. Il décide alors de se présenter au poste de Président.
Victoire assurée, d’autant plus que son adversaire, Moshe Katzav est un
fonctionnaire très quelconque du Likoud. Nouvelle insulte : le petit
Katzav remporte le poste contre le grand Peres.
Mais cette fois les Dieux semblent s’être ravisés. Katzav
est accusé de violer ses secrétaires, la voie est ouverte pour Peres et, enfin,
il devient Président.
Auto-célébration de son
passé glorieux
Il n’a, depuis lors, plus arrêté de célébrer sa victoire.
Les Dieux, pleins de remords, lui font quelques faveurs. La population qui
l’avait détesté pendant des dizaines d’années se met à l’aimer. Les célébrités
internationales le consacrent grand parmi les grands.
Mais cela ne lui suffit pas. Affamé d’amour pendant toute
sa vie, il avale les flatteries comme un tonneau sans fond. Il parle
constamment des concepts « Paix » et « Nouveau Moyen
Orient », tout en ne faisant rien de sérieux pour les promouvoir. Même les
speakers de la télévision sourient lorsqu’ils répètent ses édifiantes paroles.
En réalité, il fait office de feuille de vigne à Netanyahou dans ses exercices
répétés d’expansionnisme et de sabotage de la paix.
Le point culminant vient de se produire la semaine
dernière. Assis à côté de Netanyahou, Peres célèbre, deux mois avant la date
réelle, son 90ème anniversaire, entouré d’une pléthore de célébrités
nationales et internationales, baignant dans le bonheur comme un adolescent. Ne
parlons pas du coût—Clinton seul a reçu un demi million de dollars pour y
assister.
Après toutes les cruautés qu’ils lui avaient fait subir
durant toute sa vie, les Dieux se sont bien marrés.
[Traduit de l'anglais par Victor Ginsburgh, qui est
aussi responsable des intertitres]
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