Pierre Pestieau
Chacun d’entre
nous a vécu, sous une forme ou l’autre, la petite scène que je vais décrire. Je
me promenais récemment avec une personne par ailleurs fort urbaine; elle me
disait son irritation devant les dépenses excessives de l’Etat belge et des différents
pouvoirs subalternes. Elle se plaignait de l’endettement de Charleroi, ville
dans laquelle nous déambulions. A un certain moment, je l’interroge à la vue
d’un énorme chantier en plein cœur de la ville. Et là, le ton change, elle m’explique
que l’on va y construire un musée unique en Europe, je pense qu’il s’agit d’un musée
consacré à la photographie mais ce pourrait être aussi bien aux aquarelles ou aux
marines. Avec enthousiasme, elle m’explique que ce musée va contribuer au
renouveau de Charleroi et à son rayonnement culturel dans le monde. Rabat joie
de naissance et de métier, je lui pose les inévitables questions qui gâchent
tout: qui va payer et combien cela va coûter? Après une réponse du genre “Quand on aime on ne compte pas », mon
compagnon de promenade a bien dû admettre que la ville et la communauté
française seraient les principaux payeurs et que cette construction
n’arrangerait pas nos finances publiques. Dès cet aveu extorqué, il n’a de
cesse de me donner mille raisons pour lesquelles ce musée est essentiel pour la
ville, pour la région.
En ces temps de
disette budgétaire, ce type de contradiction apparaît souvent et sous des formes
différentes. Il y a d’abord le fameux NIMBY (Not In My Backyard,
Pas Dans Mon Jardin), selon lequel
on juge utiles certaines initiatives mais à la condition que l’on ne doive pas
en souffrir. Il y a la question des droits acquis : oui à la réforme
de retraites, mais il ne faut pas toucher à la mienne. La réforme territoriale
en France fait l’unanimité aussi longtemps qu’elle n’est pas spécifique. Dès
que l’on touche au moindre pré carré d’un élu influent ou d’une association
puissante, c’est le blocage.
Dans ces situations différentes, il y a un point commun,
la difficulté de transcender ses intérêts particuliers pour réaliser un projet
collectif. C’est une attitude on ne peut plus humaine ; certains diront
inévitable mais tout à la fois il y a des pays et des moments de l’histoire où
les individus dépassent leurs préoccupations égoïstes, acceptent une perte
temporaire de bien-être parce qu’ils se savent gagnants dans le long terme. Il
semblerait que cette attitude, qui n’a rien d’altruiste mais qui est simplement
rationnelle, se retrouve plus fréquemment dans certains pays que dans d’autres.
Elle réclame une certaine confiance dans la chose publique. La France et dans
une moindre mesure la Belgique seraient au contraire des sociétés de défiance
pour reprendre le titre d’un ouvrage dense paru il y a quelques années (1).
(1) Yann Algan et
Pierre Cahuc, La société
de défiance. Comment le modèle social français s'autodétruit, Coll. Cepremap, éditions rue d'Ulm, 2007.
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