mercredi 25 mars 2015

De l’intelligence de Georges Perec à l’élection d’Amélie Nothomb à l’Académie Royale de Belgique

Victor Ginsburgh

Vous êtes sûrement nombreux à connaître Georges Perec
Georges Perec...
(1936-1982), auteur d’ouvrages bien compliqués à lire, tels que La Disparition, 319 pages sans utilisation du E, la lettre alphabétique la plus fréquemment utilisée dans la langue française (1). Mais peut-être connaissez-vous un peu moins son article intitulé « Démonstration expérimentale d’une organisation tomatotopique chez la cantatrice (cantatrix sopranica L) et dont le sommaire montre immédiatement l’importance :

« L’auteur étude les fois que le lancement de la tomate il provoquit la réaction yellante chez la Chantatrice et demonstre que divers plusieures aires de la cervelle elles etait implicatées dans le response, en particular, le trajet légumier, les nuclei thalameux et le fiçure musicien de l’hémisphère nord. »



Il s’agit d’un résumé en « français » écrit par l’auteur ; le reste de l’article est évidemment en anglais (2). Je vous préviens qu’il est compliqué à lire, mais vous pouvez directement sauter à la liste des références bibliographiques qui sont plus remarquables les unes que les autres. On y trouve des articles signés par Beulolt, A., Rebeloth, B. & Dizdeudayre, C.D. ; Einstein, Z., Zweistein, D., Dreistein, V., Vierstein, F.J & St. Pierre, E ; Giscard d'Estaing, V.; Zyszytrakyczywsz-Sekrâwszkiwcz, I. & Gabsz, J. L’article n’était pas fait pour être publié, mais Perec avait utilisé à l’époque un traitement de texte qui ressemblait à s’y méprendre à ce qui se faisait dans les meilleures revues scientifiques.


En 1996, le physicien Alan Sokal remettait cela, en écrivant un article intitulé « Transgressing the Boundaries: Towards a Transformative Hermeneutics of Quantum Gravity », un non-sens complet, qui a été accepté et publié par la revue Social Text, une des revues américaine les plus prisées par les sociologues (3). Sokal avait pourtant averti, puisque en tête de l’article, il cite quelques lignes du livre Transgressive Readings de Valérie Greenberg :

« Transgresser les frontières disciplinaires est une entreprise subversive (c’est moi qui souligne), qui est susceptible de violer les sanctuaires de la manière habituelle de percevoir les choses. Les frontières entre sciences naturelles et sciences humaines sont l’objet des plus solides fortifications ».

Et Sokal de se lancer dans un article sur les implications culturelles et politiques de la mécanique quantique, de la relativité générale classique — et de la gravité quantique qui se propose de relier les deux — tout en ajoutant qu’il ne pourra pas donner des réponses à tous les problèmes qui se posent. L’article a 39 pages, dont 28 pages contenant les références bibliographiques et les 109 notes de bas de page.

En mars 2015, deux sociologues, Manuel Quinon et Arnaud Saint-Martin publient, sous un pseudonyme, un article intitulé « Automobilités postmodernes : quand l’Autolib’ fait sensation à Paris » dans la revue de sociologie Sociétés (4), et dont voici un bref extrait. La voiture électrique de Bolloré est :

« un indicateur privilégié d’une dynamique macrosociale sous jacente : soit le passage d’une épistémê moderne à une épistémê post-moderne ».

J’aime les canulars. J’aurais aimé que l’élection d’Amélie
et Simon Leys
Nothomb à l’Académie Royale des Lettres de Belgique en soit un, d’autant plus qu’elle occupera le fauteuil de Simon Leys, de son vrai nom Pierre Ryckmans. Un grand écrivain, essayiste et critique littéraire, doublé d’un très sérieux sinologue, qui en 1971 a été le premier à mettre en évidence les massacres perpétrés durant la révolution culturelle par Mao Tse-toung (5).

Hélas, renseignements pris auprès du secrétaire dit perpétuel de ladite académie, l’élection de Mme Nothomb est une histoire vraie. Un triste signe de décadence, une « écrivaine » tomatotopique qui yelle (crie) quand on lui jette des tomates, comme la cantatrice de Perec, une note de bas de page dans chacun des deux autres articles dont il est question plus haut, et pas même une note de bas de page dans la littérature de langue française.

Si j’avais été à la place du secrétaire dit perpétuel, j’aurais quand même froncé un sourcil.


(1) En français, la fréquence d’apparition des lettres est E, S, A, R, I, N, T, U, L, O, C. C’était en tout cas celle de ma jeunesse. Les SMS et autres Facebook peuvent l’avoir sérieusement changée.
(3) Pour l’article complet, voir
(5) Simon Leys, Les habits neufs du Président Mao, Paris : Le Livre de Poche.

1 commentaire:

  1. quelle culture, quel savoir! quelle écriture aussi! A part la nouvelle académicienne dont j'ai bien dû lire quelques romans sans prétention (je pensais), de tout ce que tu cites je n'ai lu que "les choses" de Perec, et encore pour faire comme mon papa et avoir l'occasion de parler avec lui! Trop dur de finir sur un truc sans "e"!

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