Victor Ginsburgh
Le débat passionne, poissonne ou empoisonne, selon les cas. Les médecins
vous conseillent un peu de poisson chaque semaine, ou encore de varier les
poisons. Rien ne semble tout à fait rassurant sur le plan de la santé.
Mais c’est pire sur le plan de l’écologie. Les bovins nous collent plein de
gaz de serre durant leur broutage quotidien, les porcs nous emmerdent avec leur
lisier : En France en 2002, « les
déjections d’élevage animal incluant fumiers et lisiers représentaient 275
millions de tonnes, soit la moitié du total des déchets produits (570 millions
de tonnes) ». Heureusement, continue l’article, les fumiers et lisiers sont
constitués d’eau à plus de 90 pour cent (1).
Alors, tant qu’à faire, pourquoi ne pas manger des animaux qui vivent dans
l’eau, au moins ils ne salissent pas notre bonne vieille terre, même s’il ne
s’agit que de 10 pour cent, tandis que 90 pour cent retournent dans nos nappes
phréatiques, et sont aussitôt re-pompés pour servir d’eau pétillante ou plate,
à 5 euros la bouteille dans les bistrots. C’est quand même sympa et instructif
d’apprendre que le demi litre d’eau de fumier ou de lisier se vend au prix de 5
euros.
Mais il y a pire. Je viens de lire un long article sur les pêcheries
indonésiennes, utilisatrices d’esclaves. L’article commence plutôt « fort » (2)
:
Birman dans une cage, mais quand même sur une belle île du Pacifique, on ne peut pas tout avoir (photo Associated Press) |
Les esclaves, par contre, savent que ce qu’ils pêchent a de la valeur parce
qu’il leur est interdit d’en manger ($7 milliards d’exportations en 2014). Ils
peuvent néanmoins boire de l’eau non potable et travailler 20 à 22 heures par
jour, sans aucun congé. Et s’ils se montrent mécontents, ils se voient fouettés
avec des queues de raie ou de pastenague connues pour être venimeuses.
Dans cette île perdue au milieu de l’Océan Pacifique, poursuit l’article, des
centaines d’hommes sont piégés et forcés de participer à ce commerce. « Ce
qui vous sépare des hommes qui pêchent les fruits de mer de ce que vous mangez,
rend floue une vérité brutale : Vos fruits de mer sont un produit de l’esclavage
moderne ».
Je dis « vous » avec intention, parce que je ne suis pas un
bouffeur de fruits de mer, ni de poisson d’ailleurs. Je commence à comprendre
pourquoi. Je mange du bœuf, de préférence rouge et grillé, ce qui augmente mes
chances de me retrouver avec un joli cancer. Mais finalement, à l’âge que j’ai,
je préfère mon futur cancer que vivre en pensant, depuis que j’ai lu cet
article, aux esclaves birmans.
Ceci n’est évidemment et malheureusement pas un poisson d’avril.
(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Lisier
(2) Robin McDowell, Marie Mason and Martha Mendoza, Associated Press
investigation : Are slaves catching the fish you buy ?, Associated Press, March 25, 2015, http://bigstory.ap.org/article/b9e0fc7155014ba78e07f1a022d90389/ap-investigation-are-slaves-catching-fish-you-buy
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire