Pierre Pestieau
J’ai récemment visité la Colombie, un
pays à la fois attachant, où les inégalités pourtant flagrantes peuvent ne pas
apparaître au visiteur ni même au Colombien. Vous atterrissez à l’aéroport El
Dorado, qui n’a rien à envier à nos aéroports. On en sort rapidement pour
prendre sans attendre un taxi qui le plus souvent se faufilera avec habilité
dans une circulation digne de Bruxelles ou de Paris. On arrive dans un de ces
quartiers de Bogota où l’habitat est confortable et les commerces richement
achalandés. De nombreux parcs. Des clubs de sport où les
Colombiens passent une bonne partie de leur temps de loisir, ce qui peut être
tout le temps pour les retraités. Mais quand je dis les Colombiens, il s’agit
de l’infime minorité qui peut se permettre de prendre l’avion, d’habiter dans les
quartiers du nord de la ville, de payer des droits d’inscription élevés à ces
clubs et de mettre leurs enfants dans des universités privées. L’Université de
Los Andes que je visitais a une infrastructure supérieure à celle de nos
facultés belges. Les droits d’inscription sont prohibitifs pour 99% de la
population colombienne. Bref un pays de Cocagne pour les happy few.
Un article fort intéressant (1) montre à
quel point la Colombie est un pays où la segmentation entre riches et pauvres
est extrêmement prononcée. On apprend ainsi qu’en dépit d’une réduction dans l’inégalité
des revenus, la concentration des revenus n’a pas changé au cours de ces dernières
décennies. Le pourcent de la population qui a les revenus les plus élevés
reçoit 20,5% de la totalité des revenus. Seuls les Etats Unis font aussi bien.
La part de ces très riches est plus faible ailleurs, y compris dans les autres
pays latino-américains ; elle est de 10% au Japon, 7% en Suède, et 17% en
Argentine (2). Inutile de dire que si l’on se centrait sur la concentration de
la richesse et non des revenus, les chiffres seraient nettement plus élevés.
Autre spécificité de la Colombie: ces
très riches y sont des rentiers et des capitalistes et non pas des personnes
touchant des hauts revenus dans la finance, le droit ou la médecine, ce qui est
le cas ailleurs. Ensuite, la fiscalité ne semble pas affecter cette infime minorité
de citoyens, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où le système politique
apparemment démocratique est au service des très riches. Bien sûr, dans ce
microcosme qui concerne au mieux les deux pourcent des familles les plus riches,
on rencontre de nombreuses personnes à faibles revenus mais on ne les voit pas
dans leur quotidien puisqu’elles sont déguisées en portiers, concierges, femmes
de ménage, chauffeurs de taxi. Ces personnes habillées proprement et
extrêmement courtoises ne troublent pas la tranquillité de ceux qu’elles
servent. Elles touchent au mieux le salaire minimum qui serait de quelque deux
cents euros par mois et pour se rendre sur leur lieu de travail, elles doivent
passer plusieurs heures par jour dans des bus ou des collectivos inconfortables.
On fêtait il y a deux semaines le
cinquantième anniversaire de la mort de Camillo Torres. Il s’agit de ce prêtre et révolutionnaire colombien, sociologue et militant de gauche et œuvra pour les droits des Colombiens
les plus pauvres. Déçu par le manque de résultats politiques de son action, il
entre en clandestinité pour rejoindre la guérilla colombienne. Il meurt lors
d'une action militaire.
(1) Facundo
Alvaredo et Juliana Londoño Vélez (2013), In Colombia the Top 1% Percent Grabs
a Fifth of the Pie but Most of their Incomes are Tax-Exempt http://vox.lacea.org/?q=inequality_taxes_colombia%20
(2) Selon une étude
de l’OCDE (Divided we stand. Why
inequality keep rising ? Paris 2011), Ces chiffres seraient de 7,7%
pour la Belgique, 8,9% pour la France, et 18% pour les Etats Unis et ce,
pour l’année 2006. Pour la richesse, ces chiffres sont nettement plus
élevés : respectivement 17%, 19% et 37%.
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