mercredi 20 avril 2016

Epargne, héritage et vieillissement


Pierre Pestieau

Dans son ouvrage Le Capital au XXIème siècle (1), Thomas Piketty montre que la concentration du capital et le poids de l’héritage ont tendance à croître depuis trente ans. Il y voit deux raisons: d’une part, le rendement du capital est très nettement supérieur aux taux de croissance réels du revenu et, d’autre part, les personnes âgées et riches réinvestissent pour l’essentiel ce que leur rapporte leur capital. De ce fait, en France, la part des patrimoines hérités dans le patrimoine total, qui s’élevait à 90% en 1910 pour ensuite baisser à 30% après la seconde guerre mondiale est aujourd’hui de l'ordre des deux tiers et continue d’augmenter. On retrouve les mêmes tendances dans d’autres pays européens. Si cette évolution devait s’avérer et persister, il y aurait des raisons de s’inquiéter dans la mesure où elle conduit à une société plus inégalitaire et moins méritocratique. En effet les fondements d’une démocratie moderne me semblent devoir inclure une certaine redistribution des ressources et un minimum de mobilité sociale.


Il  est tentant de se demander si cette évolution ne pourrait pas s’expliquer par d’autres évolutions concomitantes qui touchent à la famille et à l’épargne. On pense d’abord au vieillissement démographique qui résulte d’une augmentation constante de la longévité et d’une baisse de la fécondité. Le fait que les familles ont de moins en moins d’enfants et vivent de plus en plus longtemps devrait avoir une influence sur l’épargne et les héritages. Il est en effet difficile de penser que les stratégies patrimoniales ne soient pas influencées par la taille de la famille, le nombre d’héritiers, et par la durée de la retraite, qui est naturellement une période de désépargne.

Par ailleurs, on assiste à une autre évolution, celle de la nature des ressources dont dispose le retraité, lorsqu’il s’arrête de travailler. Naguère, elles étaient constituées du patrimoine accumulé au cours de la vie active ; et comme ce patrimoine était souvent négligeable, il devait s’appuyer sur l’aide de ses enfants. Avec l’apparition, il y a 70 ans des régimes de retraite, l’essentiel des revenus des retraités provient d’une rente à vie versée par l’Etat, puis pour certains, par des institutions financières. Or depuis une vingtaine d’années on assiste à une réduction des retraites publiques et les institutions financières préfèrent ce qu’on appelle une sortie en capital plutôt qu’une sortie en rente. En d’autres termes, au moment de la retraite, elle versent au retraité un capital qu’il peut, bien sûr, transformer en rente viagère mais dans des conditions qui ne rendent pas cette option attractive. Le retraité se voit dès lors doté d’un capital qu’il va devoir gérer et non plus d’une rente qui lui assurerait la sécurité jusqu’à son dernier souffle.

Il est impossible avec les données actuelles de tester empiriquement et significativement s’il existe une relation entre le rôle croissant de l’héritage d’une part et d’autre part le vieillissement démographique et la réduction des retraites en rentes. On peut cependant la vérifier en recourant à un modèle théorique et en le simulant numériquement. Nous avons adopté un modèle où les individus lèguent deux types d’héritage. Le premier repose sur une forme d’altruisme paternaliste et le second résulte précisément de l’absence de rentes viagères, ce qui a pour conséquence de générer en cas de mort prématurée un legs involontaire. Nous avons ainsi testé l’effet du vieillissement et celui de la baisse des rentes viagères sur la part des héritages dans l’accumulation du capital. Il ressort de nos simulations que l’effet d’une baisse des sorties en rente contribue à augmenter le rôle des legs; en revanche, le vieillissement a l’effet inverse. Le premier résultat est assez intuitif; en effet plus on a de sorties en capital, plus grand est le risque de legs accidentels. Le second l’est moins. Il apparaît que la réduction du nombre d’enfants a pour première conséquence une réduction des legs altruistes. Quant à l’allongement de la vie, il conduit à davantage d’épargne consacrée aux divers besoins du grand âge, et ce au détriment de legs motivés par l’altruisme familial.

Pour conclure, il semblerait que le vieillissement auquel on a coutume de prêter tous les maux de la terre ne soit pas responsable du retour des héritiers et des rentiers.

(1) Editions du Seuil, 2013.
(2) Harun Onder et Pierre Pestieau (2016), Aging and the Inherited Wealth of Nations, CESifo DICE Report (à paraître).


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire