Pierre Pestieau
Dans son ouvrage Le Capital au XXIème siècle (1), Thomas Piketty montre que la concentration du capital et
le poids de l’héritage ont tendance à croître depuis trente ans. Il y voit
deux raisons: d’une part, le rendement du capital est très nettement supérieur
aux taux de croissance réels du revenu et, d’autre part, les personnes âgées et
riches réinvestissent pour l’essentiel ce que leur rapporte leur capital. De ce
fait, en France, la part des patrimoines hérités dans le patrimoine total, qui
s’élevait à 90% en 1910 pour ensuite baisser à 30% après la seconde guerre
mondiale est aujourd’hui de l'ordre des deux tiers et continue d’augmenter. On
retrouve les mêmes tendances dans d’autres pays européens. Si cette évolution
devait s’avérer et persister, il y aurait des raisons de s’inquiéter dans la
mesure où elle conduit à une société plus inégalitaire et moins méritocratique.
En effet les fondements d’une démocratie moderne me semblent devoir inclure une
certaine redistribution des ressources et un minimum de mobilité sociale.
Il est
tentant de se demander si cette évolution ne pourrait pas s’expliquer par
d’autres évolutions concomitantes qui touchent à la famille et à l’épargne. On
pense d’abord au vieillissement démographique qui résulte d’une augmentation
constante de la longévité et d’une baisse de la fécondité. Le fait que les
familles ont de moins en moins d’enfants et vivent de plus en plus longtemps
devrait avoir une influence sur l’épargne et les héritages. Il est en effet difficile
de penser que les stratégies patrimoniales ne soient pas influencées par la
taille de la famille, le nombre d’héritiers, et par la durée de la retraite,
qui est naturellement une période de désépargne.
Par ailleurs, on assiste à une autre évolution,
celle de la nature des ressources dont dispose le retraité, lorsqu’il s’arrête
de travailler. Naguère, elles étaient constituées du patrimoine accumulé au
cours de la vie active ; et comme ce patrimoine était souvent négligeable,
il devait s’appuyer sur l’aide de ses enfants. Avec l’apparition, il y a 70 ans
des régimes de retraite, l’essentiel des revenus des retraités provient d’une
rente à vie versée par l’Etat, puis pour certains, par des institutions financières.
Or depuis une vingtaine d’années on assiste à une réduction des retraites
publiques et les institutions financières préfèrent ce qu’on appelle une sortie
en capital plutôt qu’une sortie en rente. En d’autres termes, au moment de la
retraite, elle versent au retraité un capital qu’il peut, bien sûr, transformer
en rente viagère mais dans des conditions qui ne rendent pas cette option
attractive. Le retraité se voit dès lors doté d’un capital qu’il va devoir
gérer et non plus d’une rente qui lui assurerait la sécurité jusqu’à son
dernier souffle.
Il est impossible avec les données actuelles de
tester empiriquement et significativement s’il existe une relation entre le
rôle croissant de l’héritage d’une part et d’autre part le vieillissement
démographique et la réduction des retraites en rentes. On peut cependant la
vérifier en recourant à un modèle théorique et en le simulant numériquement.
Nous avons adopté un modèle où les individus lèguent deux types d’héritage. Le
premier repose sur une forme d’altruisme paternaliste et le second résulte précisément
de l’absence de rentes viagères, ce qui a pour conséquence de générer en cas de
mort prématurée un legs involontaire. Nous avons ainsi testé l’effet du
vieillissement et celui de la baisse des rentes viagères sur la part des
héritages dans l’accumulation du capital. Il ressort de nos simulations que
l’effet d’une baisse des sorties en rente contribue à augmenter le rôle des
legs; en revanche, le vieillissement a l’effet inverse. Le premier résultat est
assez intuitif; en effet plus on a de sorties en capital, plus grand est le
risque de legs accidentels. Le second l’est moins. Il apparaît que la réduction
du nombre d’enfants a pour première conséquence une réduction des legs
altruistes. Quant à l’allongement de la vie, il conduit à davantage d’épargne
consacrée aux divers besoins du grand âge, et ce au détriment de legs motivés
par l’altruisme familial.
Pour conclure, il semblerait que le vieillissement
auquel on a coutume de prêter tous les maux de la terre ne soit pas responsable
du retour des héritiers et des rentiers.
(1) Editions du Seuil, 2013.
(2) Harun Onder et Pierre Pestieau (2016), Aging
and the Inherited Wealth of Nations, CESifo DICE Report (à paraître).
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