Victor Ginsburgh
Caravage de soupente |
C’est en tout cas ce qui vient d’arriver à un Toulousain qui, dans une
soupente de son toit d’où tombaient des gouttes d’eau, a découvert un tableau
du Caravage que les experts du monde entier se sont empressés de déclarer
« un vrai Caravage » évalué à quelque €120 millions. Il y a déjà eu
mieux—d’autant plus que c’est quand même un de ces vieux machins du 16e siècle,
qui valent en général bien moins que certains Picasso, dont Les Femmes d’Alger vendu $180 millions—mais
c’est pas mal quand même. Même si le tableau lui-même qui représente le sang
qui gicle du cou d’Holopherne, tué par Judith est un peu dégueu…
Modeste maison de Berenson dans les collines de Florence |
Ce qui me donne l’occasion de parler des experts, souvent associés aux
faussaires, ou qui ont en tout cas avantage à déclarer
« authentique » un vrai faux. Le plus connu d’entre eux est sans
doute ce merveilleux personnage (et néanmoins historien d’art) qu’était Bernard
Berenson (1865-1959), spécialiste des peintres de la Renaissance italienne.
L’historien d’art Gary Schwartz (1) s’est amusé (c’est lui qui le dit) à
analyser les 87 attributions que Berenson lui-même avait faites des œuvres qui
font toujours partie de sa propre collection conservée dans la maison où il
vivait, aux environs de Florence. De ces 87, une seule tient toujours la route.
Et encore, dit Schwartz, il s’agit d’un « modeste panneau [en fait, une
prédelle, qui est la partie inférieure d’un retable polyptique et qui sert de
support aux panneaux principaux] exécuté par le peintre frioulan Gianfrancesco
da Tolmezzo » plutôt inconnu au premier rang du bataillon des peintres de
la Renaissance italienne.
Cela arrive encore. Il y a quelques années, l’historien d’art allemand
Werner Spies, ex directeur du Centre Pompidou a authentifié un faux Max Ernst,
vendu chez Sotheby’s New York pour $1,1 millions en 2009. Dans un premier
temps, il a été condamné à rembourser l’acheteur ; un deuxième jugement
l’a innocenté (2). Les experts peuvent aussi se tromper, et ne sont pas
toujours malveillants.
Les faux vendus pour authentiques proviennent des meilleures galeries. La
célèbre galerie new-yorkaise Knoedler, qui fêtait il y a peu ses 165 ans
d’existence, est soupçonnée d’avoir vendu plus de 30 faux tableaux pour $70
millions, dont des pas moindres que Jackson Pollock, Barnett Newman, Willem de
Kooning et Mark Rothko (3). Ce dernier avait été acheté $950.000 par la galerie
qui l’a revendu $8,3 millions. Ici, il s’agissait sans aucun doute de
malversations.
Plus amusant. Le faussaire britannique Shaun Greenhalgh affirme être celui
qui a dessiné La Belle Princesse (pas
si belle d’ailleurs), attribuée par pas mal d’experts à Leonardo da Vinci. Ce
n’est pas rien : si l’œuvre était de lui, elle vaudrait probablement €150
millions (4). Vous pouvez aussi aller acheter des pastels et des dessins non
authentifiés de Francis Bacon chez Herrick à Londres. Pas cher, £795.000 par
pastel £1.2 millions pour huit dessins (5). Un bon risque.
Et puis forcément on retrouve Panama et Mossack Fonseca. En 1997, la très
célèbre collection de Victor et Sally Ganz, a été mise en vente, comme si elle
provenait tout frais de leur succession. Pas vrai parce qu’il y a un certain Joe
Louis qui l’avait acquise secrètement après le décès des Ganz en passant par
une société offshore que le cher Joe avait créée chez Mossack Fonseca. L’astuce
était de faire croire que c’était la famille Ganz qui vendait la collection, ce
qui a l’a rendue plus chère. Pas de faux tableaux, mais une provenance truquée.
Tout ceci au vu et au su de Christie’s New York (6).
Il y a plein d’autres histoires à raconter (7), y compris une petite que
j’ai vécue en 1996. Un ami qui travaille dans une maison d’enchères célèbre
m’appelle pour me montrer un (tout) petit dessin d’Ingres. Il avait beau être
petit, il était quand même magnifique. Je demande à cet ami combien il fera en
vente. Rien, me dit-il, parce que c’est un faux. Comment le sait-il ?
Parce que c’est ce qu’a dit le grand expert suisse d’Ingres auquel la maison
avait envoyé une photocopie du dessin par fax. L’enchère se passe et le petit
Ingres est acheté par un Italien qui le paie € 7.000 si mes souvenirs sont bons.
Comment sais-tu que l’acheteur est Italien ? Parce qu’il nous a écrit
qu’il voulait être remboursé ; ses recherches lui avaient montré que le
dessin était un vrai Ingres qui avait été volé dans un musée italien…
Le plus récent faussaire est un ordinateur qui a utilisé 168.000 fragments
de 346 peintures de Rembrandt et une imprimante 3D pour fabriquer un portrait
dans le style de Rembrandt : 148 millions, non, pas d’euros, mais de
pixels. Regardez sur https://www.nextrembrandt.com le film qui décrit les étapes de la
création de ce nouveau chef-d’œuvre du 17e siècle. Un vrai, un faux, un vrai
faux ou un faux vrai ?
(1) Gary Schwartz, The transparent connoisseur 4 : a Berenson
scorecard, March 28, 2016, https://garyschwartzarthistorian.com/author/loeklist/
(2) Judgment against Max
Ernst expert Werener Spies overturned in appeal, The Art Newspaper,
December 9, 2015.
(3) Voir par exemple Laura Gilber and Bill Glass, Former director of
scandal beset Knoedler Gallery breaks her silence, The Art Newspaper, April 18, 2016.
(4) Marie Kirschen, La Belle Princesse, un Léonard de Vinci à 150 millions
d’euros… ou un faux, Libération, 29
novembre 2015. http://www.liberation.fr/auteur/15543-marie-kirschen
(5) Martin Bailey,
Unauthenticated Francis Bacon works go on sale in London, The Art Newspaper, April 19, 2016.
(6) Scott Reyburn, What the
Panama papers reveal about the art market, The
New York Times, April 12, 2016. http://www.nytimes.com/2016/04/12/arts/design/what-the-panama-papers-reveal-about-the-art-market.html?_r=0
(7) Voir par exemple l’excellent ouvrage de Thierry Lenain, Art Forgery : The History of a Modern
Obsession, London : Reaktion Books, 2011.
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