Pierre Pestieau
En parcourant la presse, on rencontre
deux types de déclarations à propos de l’iniquité de nos systèmes de santé. Des déclarations
tantôt martiales : « On ne peut pas accepter qu'il y ait une médecine
à deux vitesses », tantôt résignées : « On n’échappe pas à une
médecine à deux vitesses ».
Qu’entend-on par là et quelle en est la
réalité ?
L'expression « système à deux
vitesses » désigne, normalement de façon péjorative, la concurrence
néfaste d'un service
privé parallèle à un service public et, partant, l'érosion de la qualité et de l'efficacité
du service public. L'expression est surtout utilisée en santé mais elle s'applique aussi à plusieurs autres services publics tout particulièrement
l’enseignement.
Dans le monde idéal où l’assurance
santé a été conçue, les soins de santé seraient exclusivement financés par des
cotisations sociales proportionnelles aux revenus et les soins de santé
seraient accordés indépendamment des revenus du patient. Tous les domaines
seraient couverts, y compris la dentisterie, l’ophtalmologie et la kinésithérapie.
Les lunettes et les implants dentaires seraient remboursés et la qualité des
soins serait la même pour tous. Les médicaments seraient gratuits. Le patient
ne devrait rien payer à part sa cotisation. Bien entendu un tel système n’a
jamais existé. Et force est d’admettre qu’on s’en éloigne de plus en plus.
Dans les dépenses médicales, on doit
distinguer l’assurance maladie publique, les assurances privées (en France on
parle de complémentaires et en Belgique, d’hospitalières) et les restes à
charge, qui incluent le ticket modérateur, les médicaments non remboursés, les suppléments
réclamés par certains médecins et certains hôpitaux, la pose d’implants
dentaires ou l’achat de certains équipements oculaires ou auditifs. Ces restes
à charge du patient (out of pocket) dont la nature et les montants dépendent de
ce que ne couvrent pas les assurances publiques et privées ne sont pas négligeables.
Ils représentent 3,7 et 1,5 % de la consommation privée en Belgique et en France. Mesurés par rapport au total des dépenses
médicales, ils sont évalués à 17,8 % en Belgique et 7,0 % en France.
Dans l’assurance maladie obligatoire, les plus aisés contribuent plus que
les plus pauvres.
Par ailleurs, en dépit de fortes inégalités sociales de santé, qui impliquent
des besoins de soins plus importants chez les plus pauvres, les prestations
sont relativement homogènes entre classes de revenu. A première vue, cette assurance publique effectue de ce fait une
certaine redistribution. En France par exemple, les ménages appartenant aux 4
premiers déciles de niveau de vie contribuent au financement de l’assurance maladie
obligatoire à hauteur de 12 % alors qu’ils reçoivent 44 % de l’ensemble des
prestations (1). Au contraire de l’assurance maladie obligatoire, l’assurance privée
et les restes à charge induisent très peu de transferts entre groupes de
revenu. Mais si l’on part de l’idée fort réelle que les pauvres ont davantage
de besoins de soins que les riches pour diverses raisons liées au style de vie,
à la prévention et aux risques professionnels et environnementaux, le caractère
redistributif ne nos systèmes de santé paraît moins clair.
Mesurés à leurs revenus, les pauvres ont une plus grande partie de restes à
payer. Non seulement il y a cela, mais en outre, ils sont souvent amenés à
reporter des interventions pourtant nécessaires faute de moyens. Cela veut dire
qu’ils partent de plus bas et que leur gain de santé est plus faible.
Une vision certainement plus correcte de l’équité d’un système de santé
consiste à mesurer son incidence sur le bien-être du patient. Cette vision
prend sa source dans l’idée qu’il existe une interaction entre le revenu et la
santé et que l’idéal serait de pouvoir exprimer le niveau de santé en équivalent
monétaire. On aurait donc le revenu élargi incluant la valeur de l’état de
santé avant et après l’intervention du système de santé (2). Cette approche
devrait donner une vision encore moins rose de l’équité de notre système de
santé dans la mesure où la santé et le travail interagissent étroitement. Les
travaux sur le sujet sont encore à un stade expérimental. On doit raisonnablement
s’attendre a ce que l’inégalité du revenu équivalent soit nettement plus forte
que l’inégalité du revenu standard.
Revenant au titre de ce blog sur une éventuelle médecine à deux vitesses,
je dirais que nous avons plutôt une médicine a plusieurs vitesses et que cette
tendance risque de s’accentuer si certaines reformes structurelles ne sont pas
rapidement entreprises. Mais ça c’est une autre question.
(1) Assurance maladie et complémentaires santé : comment
contribuent-elles à la solidarité entre hauts et bas revenus ? Questions d’économie de la santé 225 -
(2) Erik
Schokkaert et Carine Van de Voorde, Equité du système de santé belge, Revue française d'économie XXIX, 2014/4.
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