Pierre Pestieau
Le New York Times (1) relatait récemment
l’histoire d’une femme de 72 ans qui venait d’acheter une assurance dépendance
coûteuse et généreuse après avoir appris grâce à un tout nouveau test génétique
que la probabilité qu’elle souffre de la maladie d’Alzheimer était beaucoup
plus élevée que pour la moyenne des Américaines ayant ses caractéristiques observables.
Ce test encore largement méconnu coûterait moins de 200 euros; il permettrait
de savoir si la personne testée est porteuse du gène ApoE4, auquel cas la
probabilité de développer la maladie d’Alzheimer serait très élevée.
Inutile de dire que le secteur de l’assurance est préoccupé par cette
nouvelle. A terme, si le test était généralisé, cela voudrait dire qu’il y
aurait deux types de contrats. L’un pour ceux qui ne sont pas porteurs du gène
ApoE4. Leur prime d’assurance serait faible. A la limite, il n’y aurait pas
d’assurance pour ce type de risque. L’autre pour les porteurs du gène. Leur prime
serait beaucoup plus élevée et si la probabilité était proche de l’unité, il
n’existerait pas d’assurance pour les couvrir.
En attendant, si le test se répand, les personnes n’ayant pas ce gène vont
se garder d’acheter une assurance qu’ils jugeront trop coûteuse pour le risque
qu’elles courent et les sociétés d’assurance se trouveront rapidement
incapables de couvrir des risques beaucoup plus élevés que ceux qu’elles
avaient anticipés.
En l’absence de test, l’assurance dépendance impliquait une redistribution
de facto allant des non porteurs vers les porteurs du gène ApoE4. Dans l’état
actuel de nos connaissances, il n’est pas possible de distinguer ces deux
groupes selon leur revenu ou leur niveau d’éducation. De ce fait, on peut
affirmer que l’introduction de ce test et sa généralisation aura une incidence régressive sur la distribution des revenus en pénalisation
les porteurs du gène : ils devront en effet porter tout le poids de leur dépendance
si le marché de l’assurance était segmenté ou s’il venait à disparaître. En
d’autres termes, la coexistence d’une assurance dépendance et de la non
observabilité du gène implique que les non porteurs subventionnaient les
porteurs. Je reste ici dans le cadre des Etats Unis, où l’assurance dépendance
est beaucoup plus répandue que chez nous.
La question posée dépasse le cas de la maladie d’Alzheimer. Elle concerne
l’ensemble des tests génétiques qui ont pour effet de déchirer le voile
d’ignorance qui amenait les sociétés d’assurance à effectuer une redistribution
involontaire des revenus pour autant que la corrélation entre les revenus et
les risques encourus ne soit pas positive. C’est le cas du chômage et de la
maladie dont les risques sont plus élevés pour les pauvres que pour les
riches ; ce ne l’est pas pour la longévité qui tend à croître avec le
revenu.
Un autre problème pourrait apparaître dans le cas fort probable où ce sont surtout
les personnes économiquement aisées qui procèdent à ces tests. Pour autant que
le marché d’assurance continue d’être viable, il verra les porteurs négatifs
pauvres subventionner les porteurs positifs aisés. Dans la mesure où il n’est pas
possible d’interdire ce type de tests, la conclusion qui s’impose est de
recourir à une prise en charge par l’Etat du risque de dépendance (parfois
qualifié de cinquième risque).
Notons pour terminer que les tests portant sur l’ApoE4 ne
donnent pas des résultats tranchés mais des probabilités de développer la
maladie d’Alzheimer. Ainsi le fait d’avoir 1 ou 2 ApoE4 augmente
le risque de
développement de la maladie mais ne signifie pas que ces personnes vont nécessairement
développer la maladie dont
la prévalence passe de 1,2 % entre 65 et
69 ans à 28,5 % après 90 ans.
(1) https://www.nytimes.com/2017/05/12/health/new-gene-tests-pose-a-threat-to-insurers.html?rref=collection%2Fsectioncollection%2Fhealth&_r=0
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