Victor Ginsburgh
Ce 18 mai 2017, un colon israélien distribue des chocolats aux chauffeurs
des voitures israéliennes qui passent. C’est gentil, sauf que c’est pour se
féliciter et se fêter d’avoir abattu un Palestinien tout près du village de
Huwwara dans les territoires occupés (1).
Faut-il s’en étonner ?
Pas après les discours officiels et un peu moins officiels qui se sont
succédé ces dernières semaines et ne vont pas cesser. Yom HaShoah, la journée
qui rappelle la Shoah commençait le soir du 23 avril pour se terminer le 24. Le
1 et le 2 mai, on célébrait Yom HaZikaron en hommage aux soldats tombés, et par
les hasards du calendrier on célébrait aussi Yom HaAtzmaut qui fête
l’indépendance déclarée (le 14 mai 1948) par Ben Gourion. C’est aussi le 100ème
anniversaire de la Déclaration Balfour par laquelle la Grande Bretagne a
déclaré accepter la création d’une patrie juive en Palestine (occupée à
l’époque par les Anglais), le 70ème anniversaire de la résolution 181 des Nations
Unies recommandant la partition de la Palestine en deux états indépendants, et
le 50ème anniversaire de l’occupation d’une partie de la Palestine, à la suite
de la guerre de 1967 contre les pays arabes.
Netanyahou ânonne : « Nous nous sentons comme un mur fortifié
quand nous faisons face à nos ennemis. La paix dépend des sacrifices et de
l’héroïsme auxquels nos soldats sont prêts. Quand je me prépare à envoyer nos
troupes au front, j’ai le cœur lourd et une considération énorme, parce que je
pense à eux et à leurs familles, et je sais que, parfois, le prix à payer est
immense ». Ces mots particulièrement originaux et lourds de sens sont
aussitôt relayés par le Ministre de la défense : « Il faut pouvoir défendre
un état, ce qui requiert la volonté de se battre, et même de donner sa
vie » (2).
Ils sont naïfs, dit aussi Netanyahou, ceux qui pensent que la haine
antisémite et génocidaire contre Israël disparaîtra un jour. Il se fait filmer
dans son bureau en train de mettre à la poubelle la nouvelle charte du Hamas
alors que CNN et le New York Times
parlent de progrès et de modération. Mais dit-il, adoptant le vocabulaire de
son nouvel ami Trump, il s’agit d’une « fausse nouvelle » (3).
Il reste heureusement une poignée de gens admirables.
Reuven Rivlin, le Président d’Israël dont Netanyahou ne voulait surtout
pas, a souvent pris la parole contre la diabolisation des Palestiniens et de la
gauche israélienne. Voici quelques brefs extraits du discours qu’il a
prononcé lors de la cérémonie de la Shoah : « La Shoah est devenue la
lunette à travers laquelle nous regardons le monde… C’est une approche
dangereuse, dans laquelle chaque menace est existentielle et chaque ennemi est un
Hitler en puissance. Chaque critique contre l’Etat d’Israël est considérée
comme antisémite. C’est aussi une approche dangereuse et fondamentalement
fausse, parce qu’elle nous empêche de développer des relations avec le reste du
monde. Ceux qui critiquent Israël ne sont pas tous des antisémites » (4).
Yigal Elahan dont la sœur est morte lors d’un attentat à Jérusalem il y a
20 ans « refuse de laisser le gouvernement capitaliser sur sa mort et sur
celle de tous les Israéliens et Palestiniens morts dans ce conflit » (5).
Des parents de soldats israéliens morts durant la dernière guerre de Gaza
s’en prennent à Netanyahou au Parlement : « Vous avez fait de nous
les ennemis du peuple » (6).
Gideon Levy, un journaliste de Haaretz :
« Depuis que le drapeau israélien flotte dans les territoires [occupés],
il est devenu le drapeau de l’apartheid. Et vous voudriez que je fasse flotter
ce drapeau ? Comment pourrais-je, ce n’est plus mon drapeau. Je n’en ai
pas d’autre, mais je ne parviens plus à m’identifier avec le drapeau que mon
père faisait flotter chaque année sur notre balcon, et dont j’étais fier.
Depuis lors la fierté s’est transformée en honte, et mon identification en
culpabilité » (7).
« Quelque part, dans les territoires occupés, sur un petit lopin de
terre entouré de colonies, des amitiés inattendues fleurissent. Des colons et
des Palestiniens défient le futur et se rencontrent entre égaux ». Abu
Awad, le Palestinien qui a commencé l’aventure et a donné le nom « the
field » au lopin il y a trois ans, explique : « Je sais que tant
que nous ne parlons pas à ceux qui sont à droite, ceux qui sont à gauche ne
feront pas la paix avec nous » (8).
Abu Awad et un colon |
Malgré les ordres de plusieurs ministres et députés, les autorités de l’Université
Hébraïque de Jérusalem ont refusé de diffuser l’hymne national par respect pour
les étudiants arabes et musulmans qui recevront leur diplôme final lors d’une
cérémonie de graduation (9).
(1) Israeli settler passes out candy to celebrate killing
of a Palestinian, Mondoweiss, May 22,
2017.
(2) Barak Ravid, Netanyahou : Netanyahu on memorial
day, Haaretz, April 30, 2017 et
Editors, Netanyahu on memorial day, Haaretz,
May 1, 2017.
(3) Editorial, Netanyahou slams CNN, NYT coverage of
Hamas charter, calling it fake news, Haaretz,
June 8, 2017.
(4) President Rivlin says seeing every criticism of
Israel as antisemitic is fundamentally wrong, dangerous, Haaretz, April 24, 2017.
(5) Yigal Elhanan, My sister was killed by terrorists,
but I wan’t give up on peace, Haaretz,
May 1, 2017.
(6) Jonathan Lis, Killed in Gaza confront Netanyahou, Haaretz, April 20, 2017.
(7) Gideon Levy, Why I do not fly the Israeli flag on
Independence Day, Haaretz, April 30,
2017.
(8) Judy Maltz, Palestinians and settlers tried to make
peace on their own, and then this happened, Haaretz,
May 13, 2017.
(9) Lidar
Gravé-Lazi, Hebrew University under fire for refusal to play national anthem at
graduation, Jerusalem Post, May 18,
2017.
Merci pour cette longue méditation et que la paix soit rapidement notre partage.
RépondreSupprimerPlutôt que s'attarder sur les chocolats au poivre et au sel du colon primitif, je conseille la lecture du livre de «Sous le Soleil» Dorit Rabinyan. Une belle juive israélienne s'éprend à New York d'un artiste peintre palestinien aux cheveux adorablement bouclés. L'amour est incandescent et tumultueux malgré la barrière de cultures antagonistes. Le plus intéressant, pour moi, se trouve dans la description des réactions très semblables des deux amants vis-à vis de leur pays respectifs, que ce soit à Ramallah pour le peintre ou Tel-Aviv pour l'auteure. Un attachement profond pour les odeurs, la chaleur, les rapports humains, qui, en définitive, sont si semblables de part et d'autre du «Mur».
RépondreSupprimerJe recommande aussi la scène assez violente où le frère du peintre s'en prend à l'auteure en lui jetant à la figure le déni de réalité des juifs israéliens qui militent pour une solution de deux pays, alors qu'il n'y a plus qu'un seul état, binational, avec des citoyens de première classe, les juifs, et d'autres, les arabes, de seconde zone (cette dernière qualification n'est pas explicite dans le livre, mais elle me vient naturellement sous les doigts). La réplique de l'auteure est violente et touchante dans sa sincérité : elle invoque l'holocauste et la nécessité pour les juifs israéliens de prendre les devants (comme notre inénarrable colon au chocolat) ; taper d'abord sinon les palestiniens vont inexorablement prendre une revanche.
La lecture du livre nous promène dans l'hiver de New York, au milieu de ses quartiers bohèmes, puis dans la chaleur des rives orientales de la Méditerranée. Difficile de pas être touché par l'évocation sensuelle des lieux et des odeurs ; ceux qui connaissent ces deux pôles bruissants de vie s'y reconnaîtront.
Sur le plan des idées, le livre ne peut que convaincre de la vacuité de l'argument d'une paix avec deux états. Palestiniens et juifs israéliens sont dans un seul et même bateau, un très beau bateau et un en même temps un enfer.
Et s'il n'y a qu'un seul état, est-ce que ce sera «a home for the Jews» (ce à quoi les palestiniens se résolvent plus ou moins) ou a «Jewish Home» (ce à quoi se cramponnent 95% des juifs israéliens de ma connaissance) ? Concernant la deuxième solution, 5% des juifs israéliens voient bien qu'elle ne peut se réaliser qu'au prix d'une forme d'apartheid. Ce ne serait pas le seul cas dans le monde, mais ce serait bien peu en accord avec l'authentique culture juive.