Pierre Pestieau
La numérisation (on parle aussi de
digitalisation) et la robotisation sont pour nos états providence comme la
langue d’Esope, la meilleure et la
pire des choses. La meilleure parce qu’elles permettraient une plus grande efficacité
dans la perception des prélèvements obligatoires et dans l’allocation des
prestations. La pire parce qu’elles pourraient entrainer un accroissement des inégalités
et de nombreuses occasions d’éviter la protection sociale.
Grâce à la numérisation, les gouvernements peuvent potentiellement mener leurs politiques de perception actuelles plus efficacement et peut-être assez rapidement, concevoir ces politiques de façon nouvelle. Ils peuvent avoir de meilleures informations sur les contribuables, concevoir et mettre en œuvre de meilleurs systèmes de perception. De ce fait, on peut espérer que la fraude et l'évasion fiscales diminuent (on peut rêver). Du côté des dépenses, il devrait être possible d’étendre la couverture des prestations. Les tentatives de lutte contre la pauvreté sont souvent contrecarrées par l'incapacité de nombreux citoyens éligibles à introduire une demande de prestations. Les taux de non-recours peuvent être élevés. Si les informations sur les individus sont synchronisées entre les administrations publiques et les employeurs, les changements de statut ou de besoins des allocataires pourront être automatiquement saisis. Ces données constamment actualisées pourraient immédiatement déclencher l’octroi de prestation sans exiger des procédures longues et peut-être stigmatisantes qui sont aujourd’hui utilisées pour vérifier leur éligibilité.
Jusqu'à présent, nous avons évoqué le
côté rose de la révolution numérique, en ce compris l'intelligence artificielle
et les robots. Son côté sombre concerne ses effets attendus sur l’emploi et la
distribution des revenus et sur le respect des réglementations sociales. La
question est de savoir ce qui se passe dans une économie dans laquelle
soudainement apparaît ce capital (les robots) qui est assez productif pour
rivaliser avec les humains. L'effet net est que la productivité augmente, mais
en même temps, on peut s'attendre à une baisse des salaires et de l’emploi et à
une augmentation de l'inégalité puisque les propriétaires de robots
encaisseront la plupart de ces gains de productivité.
L'Europe a connu des changements
spectaculaires dans la façon dont les gens travaillent. Beaucoup plus de
personnes ont des emplois à temps partiel ou temporaires, ou sont des
travailleurs autonomes. Ces changements qui proviennent principalement de
l'économie numérique donnent une indication sur l'avenir du travail et ont des
conséquences énormes sur le bien-être des personnes ainsi que sur la survie du
système de protection sociale. Ces nouveaux travailleurs n'ont aucune sécurité
d'emploi. L'économie numérique, y compris l'économie du partage (Uber, AirBnb,
...) génère une variété floue de types d'emplois qui rend l'application des
lois du travail très difficile. Un certain nombre d'études ont révélé des abus
généralisés, les entreprises traitant de nombreux types de travailleurs en tant
qu'indépendants afin d'éviter de payer des cotisations de sécurité sociale et
de leur assurer la sécurité d'emploi. En outre, pour rendre les choses plus
compliquées, l'économie numérique facilite les délocalisations d’emploi et
l'embauche temporaire d'indépendants plutôt que de travailleurs permanents, ce
qui réduit encore la stabilité économique.
Certes, on peut espérer que l’état ou
plutôt les états prennent des mesures pour éviter un tel scenario. Mais
pourquoi seraient-ils plus efficaces dans ce domaine que dans celui de la
fraude et de l’évasion fiscales ?
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