Victor Ginsburgh
« Si l’on croit qu’il y a un ensemble de
règles pour les riches et un autre pour les pauvres, c’est bien parce que c’est
le cas » (Editorial du Guardian,
6 novembre 2017).
Dans son article paru dans Le Soir
du 8 novembre, Paul de Grauwe s’en prend à l’optimisation (ou évasion) fiscale
qui n’est, bien malheureusement, pas illégale comme l’est la fraude fiscale,
mais il ne propose pas de solutions pour lutter contre le phénomène, tout en
écrivant qu’elles sont à l’étude. Un vœu pieux de mon collègue Paul.
Je doute que quoi que ce soit puisse être sérieusement à l’étude. Comme je
l’ai entendu dire par le juge d’instruction belge Michel Claise le 7 novembre sur
les chaînes de la RTBF, même les fraudeurs, et surtout s’ils sont gros et bien
nourris, ne sont guère poursuivis, parce que les agents pour le faire sont trop
peu nombreux. Faire croire que la fraude est poursuivie a dit haut et fort
Michel Claise est « une escroquerie intellectuelle ». Voir notamment https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-fraude-fiscale-et-les-paradise-papers-au-centre-du-debat-d-a-votre-avis?id=9757688
Il est évidemment difficile de faire voter des nouvelles lois qui
permettraient de rendre l’évasion ne fût-ce que moins aisée et de recruter plus
d’agents pour combattre la fraude, parce que ce sont ceux qui évadent et qui
fraudent, ou qui sont proches des optimiseurs et des fraudeurs, qui font les
lois. Et pas seulement aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, mais chez nous
aussi, par exemple l’homme d’affaires kazakh Patoch Chodiev, Armand de Decker,
ex-président du Sénat, hommes d’affaires et avocat quand ça l’arrange et ce
cher Nicky Sarkozy (1), en Belgique ; ou Bernard Arnault, François-Henri Pinault
et Jacques Chirac en France (2). Et puis, s’ajoute à cela le bon prétexte que
si on sévit légalement, les capitaux fuient dans les pays où l’imposition est
plus laxiste, voire laxative.
D’après l’économiste français Gabriel Zucman qui enseigne à l’Université de
Californie, Berkeley, 10 pour cent du PIB mondial sont investis dans des
« paradis » fiscaux, et 80 pour cent de ce montant est détenu par le un
pour mille des ménages les plus riches. Les règles sont non seulement différentes
pour les riches et les pauvres, elles le sont aussi pour les super riches et
les bêtement riches. Je vous suggère, non, plus exactement, je vous supplie de
télécharger, mais aussi de lire la présentation ‘power point’ de Zucman et deux
de ses collègues : €600 billion and
counting : Why high-tax countries let tax havens flourish écrite en
novembre 2017 (3).
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, et comme le montre le graphique
publié par le Washington Post du 8
novembre 2017 (et qui est basé sur les travaux de Zucman), ce ne sont pas les Etats-Unis qui sont les plus pourris, mais
l’Europe. L’estimation des pertes subies par celle-ci (78 milliards de dollars
en 2014) est plus de deux fois supérieure à celle subie par les Etats-Unis, et
les 14 milliards que perd l’Afrique pourraient sûrement être mieux utilisés
s’ils restaient en Afrique.
L’éditorial du Guardian du 6
novembre 2017 parle bien du problème, je me permets donc de le citer
longuement :
« Les impôts sont le prix à payer pour notre civilisation. Ceux qui
votent se taxent eux-mêmes pour avoir des écoles, des routes, un service de
santé, des pensions pour les retraités. Lorsqu’un groupe de la société fait
sécession, et forme une république globalement mobile, pouvant choisir dans
quelle juridiction elle veut opérer, nous sommes en droit de demander pourquoi
cela peut se produire. Pourquoi les impôts sont-ils uniquement faits pour les
pauvres ? »
Et de donner quand même un bon conseil : « Chaque gouvernement
pourrait réduire l’évasion fiscale très rapidement en s’interdisant de donner
des contrats aux consultants qui ‘offrent’ ces merveilleux conseils
fiscaux ». Ce n’est pas très difficile à faire, mais très probablement
loin d’être suffisant.
(2) Pour ceux qui ne le savent pas, « François Pinault et Jacques Chirac sont amis pour la vie.
Le milliardaire a même pardonné à Bernadette de s’être acoquinée avec Bernard
Arnault en acceptant de siéger au conseil de LVMH. Les Chirac sont toujours les
bienvenus à Saint-Tropez et à Dinard. Même si Jacques n’est plus que l’ombre de
lui-même (Voir L’Obs du 5 mai 2016 https://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20160504.OBS9805/chirac-bretagne-vanites-10-choses-a-savoir-sur-francois-pinault.html).
Merci Victor !
RépondreSupprimerZucman a, parmi d'autres, le mérite de confirmer que, même si elle n'égale pas les performances ( ! ) de l'Irlande, du Luxembourg et des Pays-Bas en la matière, la Belgique se comporte, elle aussi, comme un passager clandestin en matière d'impôt des sociétés.