mercredi 15 novembre 2017

Mourir drogués, mais légalement

Pierre Pestieau

Au milieu des affaires politico-judiciaires qui défrayent l’actualité aux Etats Unis, il y a le scandale des médicaments antidouleur à base d’opiacés, à l’origine d’une vague d’overdoses. Plusieurs dirigeants de laboratoires pharmaceutiques sont poursuivis pour avoir dissimulé les risques de dépendance qui peuvent se révéler et conduire à une surconsommation mortelle. La justice leur reproche notamment d’avoir pratiqué un marketing agressif auprès de praticiens qui pouvaient ne pas être des spécialistes dans ce domaine. Ce scandale, motivé par la recherche effrénée du profit ne devrait pas nous étonner plus que les autres.


Comme l’illustre le graphique, ces opiacés tuent plus que les drogues illégales. Ils sont en outre à la base d’une « curiosité » démographique, à  savoir une forte réduction de la longévité chez les femmes blanches qui ne sont pas d’origine latino-américaine et touchent des revenus modestes. En effet, depuis plusieurs années, des études montrent que leur espérance de vie a baissé au cours des dernières décennies. Par exemple entre 1990 et 2000, l’espérance de vie à 25 ans a baissé d’un an chez les femmes blanches ayant un faible niveau d’éducation (moins de 12 ans d’éducation) alors que les femmes blanches plus éduquées (plus de 12 ans) vivent un an de plus (1). Ces résultats vont dans le même sens que ceux d’Anne Case et Angus Deaton, qui avaient relevé une augmentation de la mortalité chez les individus, hommes et femmes, blancs, non hispaniques, les moins éduqués. Cette augmentation de mortalité a plusieurs causes qu’il n’est pas facile d’identifier. Mais l’une d’elles est incontestablement l’abus d’opiacés, qui lui même peut s’expliquer par un sentiment de déclassement, le divorce, le chômage mais aussi la complicité des médecins.

Il y a quelque chose de paradoxal de voir un pays consacrer tant de ressources à réprimer le commerce et la consommation de drogues, dures mais aussi douces, et tout à la fois autoriser la consommation de drogues aussi néfastes.

Pendant plusieurs années, le Congrès américain et la Federal Drug Administration avaient fait preuve de passivité devant ce fléau. L’un et l’autre étaient soumis à un intense lobbying des géants pharmaceutiques. Selon une enquête du Washington Post (2) publiée en octobre 2016 et qui fit grand bruit, le  nombre de procédures en justice était ainsi passé de 131 à 40 entre 2011 et 2014, et les retraits de médicaments de 65 à 9 pendant la même période. Le journal citait les sommes dépensées par différents groupes de pression. Elles représentaient 102 millions de dollars pour la seule période 2014-2016. Depuis la parution de l’article du Washington Post, on assiste à une prise de conscience dans l’opinion et à de fortes réactions, particulièrement dans les Etats les plus concernés, situés sur l’axe des Appalaches, comme la Virginie-Occidentale, l’Ohio et la Pennsylvanie. Mais le retour à la « normale » prendra encore de longues années.

(2) http://wapo.st/opioids?tid=ss_mail


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