Pierre Pestieau
Au milieu
des affaires politico-judiciaires qui défrayent l’actualité aux Etats Unis, il
y a le scandale des médicaments antidouleur à base d’opiacés, à l’origine d’une
vague d’overdoses. Plusieurs dirigeants de laboratoires pharmaceutiques sont
poursuivis pour avoir dissimulé les risques de dépendance qui peuvent se
révéler et conduire à une surconsommation mortelle. La justice leur reproche
notamment d’avoir pratiqué un marketing agressif auprès de praticiens qui pouvaient ne pas être des spécialistes
dans ce domaine. Ce scandale, motivé par la recherche effrénée du profit ne
devrait pas nous étonner plus que les autres.
Comme l’illustre le graphique, ces opiacés tuent
plus que les drogues illégales. Ils sont en outre à la base d’une
« curiosité » démographique, à
savoir une forte réduction de la longévité chez les femmes blanches qui
ne sont pas d’origine latino-américaine et touchent des revenus modestes. En
effet, depuis plusieurs années, des études montrent que leur espérance de vie a
baissé au cours des dernières décennies. Par exemple entre 1990 et 2000, l’espérance
de vie à 25 ans a baissé d’un an chez les femmes blanches ayant un faible
niveau d’éducation (moins de 12 ans d’éducation) alors que les femmes blanches
plus éduquées (plus de 12 ans) vivent un an de plus (1). Ces résultats vont dans le même sens que ceux
d’Anne Case et Angus Deaton, qui avaient relevé une augmentation de la
mortalité chez les individus, hommes et femmes, blancs, non hispaniques, les
moins éduqués. Cette augmentation de mortalité a plusieurs causes qu’il n’est
pas facile d’identifier. Mais l’une d’elles est incontestablement l’abus
d’opiacés, qui lui même peut s’expliquer par un sentiment de déclassement, le
divorce, le chômage mais aussi la complicité des médecins.
Il y a quelque chose de paradoxal de voir un pays
consacrer tant de ressources à réprimer le commerce et la consommation de
drogues, dures mais aussi douces, et tout à la fois autoriser la consommation
de drogues aussi néfastes.
Pendant plusieurs années, le Congrès américain et la Federal
Drug Administration avaient fait preuve de passivité devant ce fléau. L’un et
l’autre étaient soumis à un intense lobbying des géants pharmaceutiques. Selon une enquête du Washington Post (2) publiée
en octobre 2016 et qui fit grand bruit, le
nombre de procédures en justice était ainsi passé de 131 à 40 entre 2011
et 2014, et les retraits de médicaments de 65 à 9 pendant la même période. Le
journal citait les sommes dépensées par différents groupes de pression. Elles
représentaient 102 millions de dollars pour la seule période 2014-2016. Depuis la parution de l’article du
Washington Post, on assiste à une
prise de conscience dans l’opinion et à de fortes réactions, particulièrement
dans les Etats les plus concernés, situés sur l’axe des Appalaches, comme la
Virginie-Occidentale, l’Ohio et la Pennsylvanie. Mais le retour à la
« normale » prendra encore de longues années.
(2) http://wapo.st/opioids?tid=ss_mail
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