Pierre Pestieau
Impérialisme et développement inégal |
C’étaient les belles années, celles de nos 20 ans,
bien moins troublées que celles que connut Nizan (1). Ces années où l’on dévorait
tous les livres qui dénonçaient le capitalisme et le néocolonialisme. Les
auteurs de référence étaient Rodinson, Dumont, Mandel, Sweezy, Althusser, Furtado
et bien d’autres. Pourquoi évoquer ces années là ? Parce qu’un de ces
auteurs vient de mourir dans un quasi anonymat. Il s’agit de l'économiste franco-égyptien Samir Amin, reconnu mondialement
comme une figure de proue de l'altermondialisme. Il vivait à Dakar depuis de
nombreuses années.
A l’occasion de ce décès, je me suis demandé ce
qu’il me restait de mes lectures de ses ouvrages publiés il y a près de 50 ans,
notamment L’accumulation à l’échelle mondiale
(1970) et Le développement inégal (1973). Peu et beaucoup. Il a remarquablement
décrit le phénomène de l’impérialisme économique qui exploitait les pays
pauvres, et particulièrement l’Afrique, et rendait leur développement
impossible. Sur ce point une bonne partie de son diagnostic demeure pertinent.
Là
où j’ai trouvé Amin moins intéressant, c’est dans son explication de certains
facteurs de sous-développement : la démographie incontrôlée, les guerres
civiles, la corruption des dirigeants et l’absence de démocratie. Certes les
puissances coloniales ont une certaine responsabilité dans ces problèmes mais
avec le temps cette responsabilité s’estompe. Je le trouve faible non seulement
dans les explications qu’il apporte, mais aussi et surtout dans les remèdes
qu’il propose.
On
peut être d’accord avec lui pour dénoncer les dommages que le commerce mondial
inflige à l’Afrique et remettre en question la doxa libérale, la question léniniste demeure celle du « que
faire ? » Le peu de pouvoir que les peuples peuvent exercer se situe
au niveau des frontières nationales et à ce niveau un rejet radical du
capitalisme semble pour l’instant utopique pour plusieurs raisons. D’abord, il
faudrait avoir une adhésion populaire. Ensuite, il y aurait l’obstacle du
blocus plus ou moins déguisé que mèneraient les grandes puissances
industrielles. Enfin, il y a la question du programme économique et social
qu’il faudrait mettre en œuvre, lequel réclamerait de l’intégrité, de la
compétence et de l’imagination. Autant d’obstacles qui nous laissent désemparés
et pessimistes.
(1) Paul Nizan (1905-1940) est l’auteur de la phrase
illustre « J'avais vingt ans et je
ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie » dans Aden Arabie (1931).
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