lundi 18 novembre 2019

Promesses non tenues


 Pierre Pestieau

Dans les conflits sociaux que provoquent certaines réformes de politique sociale, il arrive fréquemment que les syndicats ou d’autres organisations représentant ceux que les réformes affectent rejettent ce qu’on leur propose, alors que sur le papier ils en seraient les premiers bénéficiaires. Prenons l’exemple de la réforme qui concerne l’ouverture des commerces le dimanche avec pour promesse que les employés travaillant le dimanche recevraient une exonération fiscale pour cette activité dominicale et un jour et demi de congé pour chaque dimanche travaillé. Il se pourrait que cette réforme soit rejetée parce que les travailleurs échaudés par des expériences antérieures craignent qu’après avoir accepté de travailler le dimanche, on « oublie » l’exonération fiscale et le demi jour de congé.


Dans cette même ligne, on peut comprendre qu’une partie de la population rejette une taxe carbone, même si on accompagne cette taxe d’une promesse de subventions en direction des ménages les plus démunis pour qu’ils puissent changer de véhicule ou isoler leur habitat. Une fois la taxe votée, il y a le risque que les mesures compensatoires passent à la trappe.

Il existe en économie toute une série de règles que l’on présente comme optimales et qui le sont en effet à condition que des mécanismes compensatoires soient appliqués pour les perdants.  En l’absence de ces mécanismes, ces règles perdent toutes leur vertu. On peut montrer qu’elles sont alors fondées sur un critère de bien-être social qui pondère les utilités individuelles d’autant plus que les individus sont riches (1).

C’est le cas de la taxe carbone, de la tarification au coût marginal, des péages variables, des hausses de prix en période de pointe ou de l’allongement de la vie active. On peut prouver que toutes ces mesures augmentent le bien-être de tous à condition qu’elles soient accompagnées d’une redistribution compensatrice. En l’absence de cette redistribution, le statu quo est préférable. En effet les bas revenus courent le risque d’être doublement pénalisés.

C’est aussi le cas de toutes les politiques de libre-échange. Sur le papier, il n’y aucun doute ; elles sont efficaces dans le sens d’une augmentation de la production globale. Mais tout le monde est rarement gagnant. Il y a des perdants et ne pas en tenir compte entraîne des critiques fort pertinentes, dont les altermondialistes sont les porte-paroles les plus visibles.

Avec le changement climatique, on voit surgir des propositions visant à réduire les effets de serre à l’échelle planétaire. Ici aussi le risque pour les pays pauvres d’être les dindons de la farce est réel, si les engagements compensatoires ne se réalisent pas.

Je conclurai par un proverbe rwandais (dixit Google) : Les promesses engraissent les oreilles, pas les joues. 


(1) C’est ce que j’ai montré dans un article d’il y a plus de 50 ans : Regressiveness of efficiency rules in public economics, Canadian Journal of Economics, vol. 3, n° 2, 1975



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