Victor Ginsburgh
Boualem Sansal |
Pour ceux qui n’ont
plus envie de suivre les tribulations de Trump et de son alter ego Netanyahou,
ou pour ceux qui n’ont pas le temps (ni l’envie) de lire l’Histoire de la Révolution Française en six volumes de 1 450 pages
chacun, ou les 30 volumes de l’Histoire
de Charleroi entre juillet 1815 et février 1816 écrits par un professeur
honoraire d’histoire de l’Université libre de Bruxelles, voici ce dont ils ont
un besoin urgent : le Petit éloge de la
mémoire de Boualem Sansal (1).
Quatre mille et
une années d’histoire méditerranéenne vues depuis la Numidie, pays berbère,
dont l’auteur est originaire. Ses ancêtres viennent d’Egypte, centre du monde
où ils avaient eux-mêmes immigré du pays de Cham, qui est aussi le nom d’un des
fils de Noé devenu noir après avoir vu son père nu, et dont les trois fils,
Koush, Misraïm et Pout peupleront l’Ethiopie, l’Egypte et l’Arabie.
L’Egypte ancienne
est le sujet du chapitre 1 de 14 pages, le premier pays où a vécu Boualem Sansal. Les 110 pages suivantes sont vues de
Numidie, que cela se passe à Rome, en Grèce, en Gaule, ou dans le pays des Hébreux,
qu’il y soit question de Cléopâtre, ou de Sophonisbé, la reine numide née à Carthage.
Même Corneille lui a dédié une tragédie, et ce rare nom est aussi celui d’une magnifique
femme peintre de la Renaissance italienne, Sofonisba Anguissola.
Mais l’Egypte
revient sur scène lorsque Rome devient puissante et « à la mémoire de sa
royale épouse égyptienne, [Cléopâtre Sélené, fille de Marc Antoine], le [roi] Juba fit élever une monumentale pyramide … qui
perdra son identité et ne sera à l’instar de nos immenses réalisations d’Egypte
qu’un entassement de pierres n’ayant à défier que la pesanteur, les vents de
sable et les touristes en masse » (Sansal, p. 60).
Sans oublier
Massinissa et ses guerres puniques. L’homme « était jeune, il était beau,
il était agile… Il a tout connu… Il fut proscrit, honoré et formula ce vœu en
forme de cri resté célèbre : l’Afrique
aux Africains, qui à ce jour n’est pas réalisé dans les faits, pas comme il
le voyait, l’Afrique est bien aux Africains mais ses rois et ses raïs ont placé
ses richesses en Amérique et leurs enfants les dilapident en Europe » (Sansal,
p. 50).
Moïse et Jésus tous
deux introduits brièvement, sont de passage, presque sans être nommés, et puis,
de toute façon, selon Sansal (p. 66), Jésus « ne pouvait être qu’un
Berbère, un véritable Amazigh, un Homme libre, un Fils de la Terre, [comme l’ont]
pensé certains qui se souvenaient que leurs ancêtres étaient arrivés en Egypte
et avaient bourlingué dans le pays des Hébreux ».
Leur vie était
très semblable à la nôtre : « Les princes et les nobles [berbères] se
rendaient à Rome ou à Athènes comme aujourd’hui nos raïs et nos vizirs vont à
Paris ou à Genève se soigner, faire des affaires, leur marché, visiter des
proches, mener grande vie. Et comme aujourd’hui, les pauvres se débrouillaient
comme ils pouvaient pour le temps qui leur restait à vivre… Ah, quelle
époque, je ne savais à quel saint me vouer » (Sansal, pp. 64, 67).
Et puis vient le
temps des mystiques, celui des persécutions, un peu des poètes et des
apologistes, le temps de la fin, du silence, du réveil, des zélateurs, des
imams, des géants, du repli, de la course, de l’attente, de la saga et de la
rupture, pour arriver au temps de la solitude et celui du présent en 14 pages,
dans son Algérie (française) :
« A en croire les journaux », écrit Sansal, « Alger ressemblait comme
deux gouttes d’eau à sa jumelle Marseille, sans doute, mais certainement plus à
Alger … Un îlot de misère dans un empire de prospérité. Ces braves gens avaient
oublié quatre mille et une années de leur histoire … Ce temps lamentable et
inique m’a apporté quelque chose de merveilleux que nous ne connaissions pas
auparavant : le livre … Après un temps de panique, je suis tombé en
admiration devant cet objet magique » (Sansal, pp. 126-128).
Ce petit ouvrage
est un très grand livre d’histoire, un véritable objet magique qu’on ne peut
s’arrêter de lire, de relire et devant lequel il est impossible de ne pas
tomber en admiration pour les rappels du passé et leur liaison aux événements
du présent.
(1) Boualem Sansal (2007), Petit
éloge de la mémoire, Paris : Gallimard Folio.
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