Etienne de
Callataÿ et Victor Ginsburgh
Il y a
quelques années, nous avons publié une Carte Blanche « Il ne faut pas
char…rier ! » C’était dans le Soir
du 22 février 2013. Elle venait en réponse à un journaliste du Soir, qui avait donné comme titre «
Requiem pour l’humour belge » à son éditorial paru le 15 février 2013, suite à
un char qui ne lui plaisait pas trop au Carnaval d’Alost.
Nous
écrivions : « Un commentaire
inspiré par le char du Carnaval d’Alost représentant sous le jour de
l’Holocauste la déportation des francophones de Flandre est qu’il s’agirait là
de l’expression de la fin de l’humour belge et, partant, de la confirmation de
la séparation culturelle entre Nord et Sud de ce pays » et avions, pour nous y opposer, repris un
extrait de cet éditorial : « Nous avons partagé tant bien que mal le territoire
commun. Nous n’aimons
pas les mêmes artistes (…) nous ne rions plus des mêmes choses » (1).
Et nous
avions poursuivi : « Les
circonstances festives invitent à la légèreté mais de telles affirmations sont
lourdes de sens. A la réflexion, elles paraissent hâtives. Si à Alost des gens
déclarent « tout le monde a bien ri », il n’est pas pour autant avéré que tous les Flamands
ont bien ri. Et si à Malmedy ou à Stavelot on n’a rien vu de tel, il n’est pas
plus avéré que cela aurait été inconcevable du côté francophone. Qu’il soit
juif ou anglais, l’humour est souvent localisé et la langue, avec ou sans
accents régionaux, y est souvent importante. »
Il ne
s’agissait pas à l’époque d’un char dont on pouvait sourire—ou pas—à la
représentation de deux rabbins comme l’année dernière, ou comme c’était le cas dimanche
dernier, mais le raisonnement est, à peu de chose près, identique. Même si ce
n’est pas notre humour, pourquoi ne pourrait-on pas rire en voyant deux
rabbins grimés, même s’ils sont affublés de papillotes sur les côtés de la
tête et cela dans un contexte de dérision, y compris l’autodérision
explicite ?
Pourquoi l’interdire
sachant que ce serait aussi interdire à qui le souhaite, de rire des
caricatures de Charlie Hebdo, un
magazine sans ambiguïté sur sa manière de décliner la liberté
d’expression ? Pourquoi deux Musulmans disant « Vous allez payer car
vous avez insulté le prophète » ont-ils tué des journalises et
dessinateurs de Charlie Hebdo, à
mille lieues de penser l’insulte ?
En 2013,
nous nous refusions à accepter la vue clivante selon laquelle « l’humour
belge ne serait plus ». N’interdisons ni l’humour belge, ni l’humour à la
Coluche sur les Belges, et ne l’interdisons pour rien ni personne. Et
enrichissons-nous de l’humour juif, fait de dérision de la judéité et des
Juifs. Les blagues juives ont été ‘psychanalysées’ par Freud lui-même, un homme
pas rigolo, sans aucun doute, mais cet humour le faisait rire, sans aucun doute
aussi. Les blagues juives sont inimitables et leur finale est souvent
totalement inattendue. Elles sont encore plus savoureuses lorsqu’elles sont
racontées avec un accent yiddish ou polonais.
Mais
manifestement, le Ministre des Affaires Etrangères israélien qui essaie de
faire pression sur le gouvernement belge pour condamner, voire interdire le
Carnaval qu’il qualifie de « manifestation antisémite » (2), est non
seulement pas rigolo, mais, ayant perdu son sens de l’humour, il ferait bien de
retourner aux sources et accepter, comme
l’écrit The Times of Israel (3),
qu’Alost « est l’un des plus célèbres carnavals d’Europe où les
politiciens, les chefs religieux et les riches et célèbres sont sans cesse
ridiculisés pendant les trois jours de fête qui précèdent le Carême catholique
romain ».
Et puis, M. le Ministre,
il vaut quand même mieux être de mauvais goût que coloniser...
(1) Etienne
de Callataÿ et Victor Ginsburgh, Il ne faut pas charrier, Le Soir, 22 février 2013.
(2) Belga,
Interdire le Carnaval d’Alost ? Le ministre flamand de l’Egalité des
chances répond à Israël, La Libre 20
février 2020. Voir aussi https://www.rtbf.be/info/societe/detail_le-carnaval-d-alost-antisemite-pour-israel-la-reponse-est-oui?id=10437284
(3) Times of Israel
Staff, Le carnaval d’Alost rejette l’appel d’Israël à annuler son défilé
antisémite, Times of Israel, 22
février 2020.
Merci Victor (et Etienne que je ne connais pas) ! Enfin du bon sens. Vive notre humour belge qu'il faut absolument revendiquer à cors et à cris ! Zut aux mal-pensants ! Nous sommes Belges, quand même, et du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest ! Bonne journée !
RépondreSupprimerMerci Victor (et Etienne que je ne connais pas) !
RépondreSupprimerOuf! Je peux encore voir et revoir le fameux film "Rabbi Jacob" et en rire sans complexe de culpabilité xénophobe.
Désolé mais il y avait bien plus à Alost ! Rien à voir avec Rabbi Jacob et encore moins avec l'humour belge Rire des juifs, oui. Mais peut-on tourner en dérision la shoah ? Non !
RépondreSupprimerUn commentaire que Maximilien Kutnowski m'a demandé d'introduire
RépondreSupprimerCher Victor (et cher Etienne, que je ne connais pas, mais que je lis ou entends parfois), pour une fois, je ne suis pas en communion de pensée avec le blog concernant le carnaval d’Alost. Et si je réagis avec retard, c’est parce que j’ai pris le temps de la réflexion. Serait-il vrai que Zeus rend fou ceux qu’il veut perdre ?
Rabbi Jacob n’était pas un film antisémite ; il se moquait plutôt des préjugés antisémites (« Salomon, vous êtes Juifs ? »). Les personnages « juifs » caricaturés à Alost sont des Juifs orthodoxes, une minorité parmi ceux qui sont ou se pensent Juifs. Si à Anvers, Brooklyn et Jérusalem, ils font partie du paysage, il n’en est pas de même à Bruxelles par exemple. Pour ce qui concerne Alost j’ignore s’ils ont envahi cette bonne ville du Denderstreek, y ont imposé le repos du sabbat et la cacherout.
Mais les affubler d’un nez crochu, adorant l’or en compagnie de rats, est digne des caricatures du sinistre Stürmer.
Le parallèle avec les caricatures de Charlie Hebdo ne me paraît pas pertinent : le Prophète n’était pas moqué ou grotesque, mais montré soucieux de certains de ses fidèles.
Qu’un ministre d’un gouvernement étranger, que vous n’appréciez ou pas, livre son opinion est ici secondaire.
Bravo, Victor. assez de ces culs de poule qui jouent aux politiquement et religieusement corrects pour nous envahir de toutes parts et ne veulent rien d'autre que tordre le coup à la liberté d'expression et surtout à la caricature qui en est la forme la plus percutante. Supprimer le carnaval d'Alost, c'est une étape pour pointer une fois de plus le bazooka sur Charlie Hebdo puis sur le Canard Enchaîné avant de détruire les quelques parutions de la presse encore indépendante de ces quelques riches dont fait état ton confrère Pestiaux et des Etats fabricants de guerre.
RépondreSupprimerMerci de remettre les choses à leur place !