jeudi 1 avril 2021

Canulars scientifiques et autres

Victor Ginsburgh

Vous vous rappellerez sûrement du canular d’Alan Sokal, professeur de physique à la New York University (NYU). Ce physicien a envoyé, en 1996, un article à Social Text, une revue américaine de gauche qui s’intéresse aux phénomènes culturels et sociaux tels que genre, sexualité, race, marxisme, post-modernisme, néolibéralisme, post-colonialisme, etc.

L’article s’intitulait « Transgressing boundaries: Towards a transformative hermeneutics of quantum gravity ». Je suis incapable de vous traduire ne fût-ce que le titre de l’article, qui mélange des mots chics et chocs tels qu’herméneutique et gravité quantique et ne suis pas même sûr que les deux derniers mots traduits en français, sont dans le bon ordre. Mais j’ai « compris » le sens que voici : la gravité quantique est un concept social et linguistique. Cet article a été lu par des éditeurs, parmi lesquels il n’y avait pas de physicien et a été publié. Quelques semaines après la publication, l’auteur Sokal a révélé publiquement que l’article ne voulait rien dire, qu’il était un simple étalage de mots mélangeant physique et science sociale et n’avait aucun sens. Pas très sympathique de la part de Sokal, mais les éditeurs de la revue ont été loin d’être sérieux et se sont fait ridiculiser par la suite, évidemment. Cette blague d’étudiant a été suivie par pas mal de bavardages, y compris ceux de l’ouvrage de Sokal et Bricmont, lui aussi professeur de physique, mais à l’Université de Louvain (1). L’article de Sokal et l’ouvrage de Sokal et Bricmont ont fait grand bruit chez les philosophes (dont Jacques Derrida) alors que je peux m’imaginer que les physiciens ont sans aucun doute ri dans leur barbe, ou ailleurs.

Bref, une histoire similaire plus récente fait à peu près le même trajet. Ecrit par Peter Boghossian, James Lindsy et Helen Pluckrose (2) « Our struggle is my struggle: Solidarity, feminism and an intersectional reply to neoliberal and choice feminism », cet article avait été accepté pour publication par la revue américaine Affilia: Journal of Women and Social Work. Il a, par un coup de chance, été retiré par la revue quelques jours avant d’être publié, grâce au Wall Street Journal qui avait dévoilé l’histoire.

L’article était basé sur le chapitre 12 de Mein Kampf, écrit par le célèbre Adolf H. que vous connaissez tous. Un peu remanié, cependant, pour remplacer des mots tels que Juif par homme blanc. Faut bien dire qu’accepter ou rejeter un article est devenu difficile. Des articles tels que (3) :

« Super-Frankenstein and the masculine imaginary: Feminist epistemology and superintelligent artificial intelligence safety research », Soumis à Feminist Theory,  

« Stars, planets, and gender: A framework for a feminist astronomy », Soumis à Women’s Studies International Forum,

ont été soumis récemment et, en date du 21 mars 2021, les éditeurs n’avaient pas encore décidé s’ils seront acceptés ou rejetés.

Il ne faut pas nécessairement recourir à des canulars pour questionner certaines pratiques du monde de la recherche. Rappelez-vous la thèse de sociologie de l’astrologue de François Mitterrand, Élisabeth Teissier, intitulée Situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes,  soutenue en 2001 à l'Université Paris V sous la direction de Michel Maffesoli.

Les économistes ne doivent en rien changer leurs articles. Ce qu’ils écrivent de nos jours dans les grandes revues suffit amplement.

 

 

(1). Alan Sokal et Jean Bricmont (1997), Impostures intellectuelles, Paris : Editions Odile Jacob.
(2). Peter Boghossian, James Lindsey et Helen Pluckrose (2018), Our struggle is my struggle : Solidarity feminism as an intersectional reply to neoliberal and choice feminism, Affilia: Journal of Women and Social Work, presque publié.
(3). Mikael Nilsson Mein Kampf, and the feminazis: What three academics’ Hitler hoax really reveals about ‘wokeness’, Haartez, March 21, 2021.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire