jeudi 8 avril 2021

Incohérent, vous avez dit incohérent (1)

Pierre Pestieau

 

Un des mots les plus largement utilisés dans le débat politique est celui d’incohérence. Quelque soit le pays, l’opposition reproche aux gouvernements en place une série impressionnante d’incohérences. Une remarque d’abord. On aurait bien tort de reprocher au seul État d’être incohérent alors que nous le sommes tous plus ou moins fortement. Que de gens pratiquent de façon compulsive le tri sélectif et ont un compost dans leur jardin tout en roulant dans des SUV énergivores. Selon la saison, ils chauffent ou climatisent leur logement sans réserve.

Notre système de protection sociale est marqué par de nombreuses incohérences et dysfonctionnements qui peuvent être dénoncés tantôt dans l’espoir de l’améliorer, tantôt avec le dessein d’en réduire la voilure. Il convient de distinguer trois types d’incohérences selon qu’elles sont souhaitables, inévitables ou évitables.

Comme incohérence souhaitable, on citera la manière dont la protection sociale pratique l’individualisation. Certaines prestations sont indépendantes de la situation de famille du bénéficiaire et des ressources dont il dispose. D’autres prestations, au contraire, dépendent de la taille du ménage auquel le bénéficiaire appartient et sont soumises à un test de ressources. Dans la première catégorie on trouve, par exemple, les retraites du secteur public et, dans la seconde, les revenus d’insertion. Ces deux approches fort différentes peuvent s’expliquer par des raisons politiques et budgétaires.

Venons-en aux incohérences qui sans être souhaitables sont inévitables, voire nécessaires. Nombreux sont les exemples où des objectifs hautement désirables ne peuvent être réalisés simultanément. Par exemple, on a pu observer que les deux principes que sont l’équité horizontale (traiter également les égaux) et l’équité verticale (imposer plus lourdement un individu qu’un autre individu disposant de moins de ressources) ne peuvent coexister, ce qui conduit à la perception d’une incohérence. Plus concrètement, on peut citer le fait d’avoir des règles de fonctionnement différentes d’une région à l’autre dans un État fédéral. Ainsi, il n’est pas étonnant que la politique de prévention varie d’une région à l’autre. La Wallonie n’a pas la même culture que la Flandre dans sa conception des modes de vie (alimentation, pratique des sports, tabagisme).

Le covid-19 nous offre de nombreux exemples d’incohérences inévitables, pour ne pas dire nécessaires. Rétropédaler sur une série de mesures telles que l’ouverture de certains commerces ou le choix d’une heure de couvre-feu peut être ressenti comme incohérent et ça le serait si l’évolution des contaminations était parfaitement prévisible. Dans la mesure où elle ne l’est pas, ce rétropédalage est on ne peut plus rationnel.

Enfin, il y a les incohérences évitables. Ce sont sans doute les plus nombreuses et les plus marquantes. Les seules qui méritent le nom d’incohérences. Comme exemple de ce type d’incohérence, on citera les inégalités entre différents minima sociaux ou la manière dont sont traitées les personnes à charge. L’absence de coordination entre administrations ou niveaux de pouvoir conduit souvent à des situations incohérentes. Ces incohérences peuvent être perçues comme des inefficacités, des dysfonctionnements. Elles devraient être corrigées mais cela n’est pas toujours aisé dans la mesure où, derrière chacune d’elle, on trouve des personnes ou des administrations qui en tirent profit.

En bref, nous avons cité trois types d’incohérence alors que les deux premiers ne méritent pas d’être qualifiés de la sorte. Seul le dernier qui regroupe des incohérences socialement couteuses et politiquement déstabilisantes mérite notre attention.

(1). Clin d’œil à Louis Jouvet et son « Bizarre, vous avez dit bizarre ».

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire