Victor Ginsburgh
Peu après la réception de son Prix
Nobel de Littérature en 1957, Albert Camus écrit les mots qui suivent à Louis
Germain, l’instituteur algérois qu’il avait eu 30 ans plus tôt (1) :
« J'ai laissé s'éteindre un peu le bruit
qui m'a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon cœur.
On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n'ai ni recherché ni
sollicité. Mais quand j'en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma
mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez
tendue au petit enfant pauvre que j'étais, sans votre enseignement, et votre
exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de
cette sorte d'honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire
ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos
efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours
vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l'âge, n'a pas cessé d'être
votre reconnaissant élève. Je vous embrasse de toutes mes forces ».
Une recherche récente (2) réalisée aux
Etats-Unis donne pleinement raison à Camus. Le bon enseignement dès le plus
jeune âge a son prix, et pas seulement en euros. Un bon instituteur à partir de
la quatrième primaire (3), dit cette recherche, vaut à l’étudiant une
augmentation de la probabilité de poursuivre des études universitaires et lui
rapporte en moyenne 20.000 euros de plus au cours de sa vie d’adulte que s’il
avait eu un instituteur « normal ». Un mauvais instituteur a sur
l’élève le même effet qu’une absence de 40 pour cent durant l’année scolaire et
les parents dont les enfants sont dans cette classe auraient intérêt à offrir à
pareil instituteur une « prime de départ » de quelque 80.000 euros.
Cette étude a fait l’objet d’un débat
tumultueux, mais celui-ci ne porte pas sur les effets qu’un bon ou un mauvais
instituteur peut avoir sur les élèves. Tous les élèves, y compris ceux que nous
avons été, ont ou ont eu leur avis sur leurs enseignants : il en était qui
étaient exceptionnels, et d’autres qui l’étaient bien moins. Le débat aux
Etats-Unis (4) porte sur la justesse des critères d’évaluation des instituteurs
(dont font partie les notes obtenues par les élèves) et le risque couru de
pénaliser à tort ceux qui sont jugés comme étant « inférieurs à la
moyenne ». De plus, utiliser les classements pour se débarrasser des mauvais
instituteurs peut entraîner des effets secondaires négatifs, tels que laisser
les élèves tricher de façon à augmenter les notes, ou faire du lobbying pour
attirer les bons élèves dans sa classe.
Mais minimiser l’importance des évaluations
quelles qu’elles soient, sous prétexte qu’elles sont fausses, incomplètes, ou qu’elles
ne mesurent pas tout à fait ce qu’elles prétendent mesurer est bien connu et
entraîne aussi des effets secondaires. Nos universités, par exemple, rechignent
à tenir compte des classements, ceux de Shanghai, comme ceux des revues dans
lesquelles leurs chercheurs publient, et ceux des chercheurs et enseignants sur
base de leurs publications dans les revues bien classées. Nos universités ne
montrent pas particulièrement le « bon » exemple.
Cet aveuglement risque fort de mener à
un enseignement, quel qu’il soit, à deux vitesses. Il y aura celui qui tient
compte des évaluations, ne fût-ce qu’en partie, et celui qui les rejette. Le
premier groupe deviendra meilleur et finira, dans un monde qui manque cruellement
de ressources publiques, par se privatiser et augmenter le prix des
inscriptions, que seul les plus riches pourront se payer. Et leurs enfants
bénéficieront d’un meilleur enseignement, avec les conséquences qu’il est
inutile de décrire longuement. C’est exactement ce qui arrive aux Etats-Unis où
l’écart d’éducation entre riches et pauvres s’accentue, aussi bien parmi les
blancs que parmi les noirs (5).
Albert Camus était né dans une famille
pauvre, comme il l’écrit lui-même. Il faudrait beaucoup de Camus qui viennent
nous expliquer que les bons enseignants font infiniment mieux que les autres,
que leur rôle que nous avons tendance à oublier, est fondamental, qu’ils
devraient être bien mieux respectés et rémunérés qu’ils ne le sont dans notre
société et que les pauvres ont besoin d’eux tout autant que les riches (6).
(1) Cette lettre est
reproduite dans les annexes de son livre posthume, Le premier homme, Paris : Gallimard, 1994.
(2) Ray Chetty, John Friedman and Jona
Rockoff, The long-term impact of teachers : teacher value-added and
students outcomes in adulthood, NBER Paper 17699, December 2011
(3)
Il y a huit années « primaires » aux Etats-Unis.
(4) Et qui alimente entre autres la grève des
enseignants à Chicago depuis le 10 septembre 2012.
(5) Sabine Tavernise, Education gap grows
between rich and poor, studies say, The
New York Times February 9, 2012.
(6) Voir aussi Chester Finn, Young, gifted
and neglected, The New York Times, September
18, 2012.
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