Pierre Pestieau
Imaginons un mathématicien qui a le cœur et peut
être le portefeuille à gauche. Il regarde les actualités du soir où on lui
décrit dans le détail la détresse des travailleurs de Sanofi. Puis il lit dans
son journal un compte rendu du dernier livre de Joseph Stiglitz qui traite de
l’impudence de cette minorité des toujours plus riches qui depuis plusieurs
décennies capturent l’essentiel des dividendes de la croissance. En toute
logique, il ne peut qu’adhérer au projet de légiférer au plus vite pour
interdire tout licenciement dans une entreprise qui fait des profits et à une
reforme fiscale imposant une taxation de 75% sur les revenus du capital. Dans
un appartement contigu, vit un économiste qui a le cœur tout aussi à gauche et
dont le portefeuille n’est pas plus gonflé que celui de son collègue
mathématicien. Il a entendu et lu les mêmes nouvelles et pourtant, il est
vraisemblable qu’il ne réagira pas de la même façon. Certes, il ressent autant
d’indignation devant les licenciements qui se multiplient et devant la
croissance des inégalités mais tout à la fois il connaît, c’est son métier, les
risques que peuvent faire courir à un édifice déjà fragilisé des mesures prises
dans la passion et l’improvisation.
Que voulons nous dire par cet exemple ? Si
être de gauche se résume à être aveuglement opposé aux licenciements
économiques et en faveur d’une taxation élevée des revenus du patrimoine, alors
il est vrai que notre mathématicien (ce pourrait être un philosophe ou un
archéologue) est sûrement plus de gauche que notre économiste qui a les
hésitations d’une vierge effarouchée. Mais si être de gauche implique une
adhésion à certains objectifs de justice sociale tout en se rendant compte que
pour les atteindre il faut utiliser tous les moyens mais aussi tenir compte de la
réalité des contraintes économiques, alors il n’est pas certain que le clivage
soit aussi clair.
L’économiste souffre d’une malédiction ; il
lui est interdit de rêver ou s’il le fait, une petite voix lui souffle :
Est-ce réalisable ? Est-ce soutenable ? Le non économiste ne souffre
pas de ces empêchements de rêver en rond.
Un autre exemple est celui de l’allocation
universelle. L’idée est simple, on donne a tout résident de plus de 16 ans un
montant de 600€ par mois indépendamment de ses revenus et de sa richesse, de sa
structure familiale ou de son âge. Quelle merveilleuse idée ! Mais ou
trouver les fonds qui permettent de financer ce projet ?
Mais qu’en est-il dans la réalité? Il se pourrait
que ces économistes de gauche, qui seraient forcés par leur propre discipline
de trop souvent approuver des politiques restrictives n’existent pas, ou en
tout cas soient rares. Une étude américaine apporte un début de réponse à cette
question (1). Basée sur une vaste enquête auprès des enseignants
universitaires, elle distingue les conservateurs et les progressistes
(liberals) et donne les fractions suivantes pour
quelques disciplines:
|
Progressistes
|
Conservateurs
|
|
|
|
Psychologues
|
84%
|
8%
|
Sociologues
|
77%
|
10%
|
Mathématiciens
|
69%
|
17%
|
Economistes
|
55%
|
39%
|
On le voit au moment de voter les économistes sont
sans doute moins à gauche que les psychologues et les sociologues, mais ils le
sont tout de même en majorité. Il est vraisemblable que si l’enquête portait
sur l’extrême gauche, elle révèlerait des différences encore plus marquées.
Mais une telle enquête aurait été surprenante aux Etats Unis.
(1) Stanley Rothman, S. Robert Lichter, Neil Nevitte, Politics and Professional Advancement Among College Faculty, The Forum , vol. 3, 2005
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