Pierre Pestieau
Nos Etats providence ont des programmes divers pour
lutter contre la pauvreté et dans l’ensemble il faut bien admettre que leurs succès
(ou leurs échecs) sont mitigés. Mesurée en termes relatifs (par exemple en
prenant comme seuil de pauvreté 60% du revenu médian), la pauvreté a plutôt
tendance à légèrement augmenter dans la plupart des pays. Les facteurs qui
peuvent expliquer cette décevante évolution sont multiples. En premier lieu, il
y a sûrement un manque de volonté politique d’autant plus net que nos
gouvernements connaissent des problèmes budgétaires inextricables. Il y aussi les
difficultés liées à l’organisation des programmes.
Je prendrai deux exemples qui reviennent régulièrement.
Le traitement des isolés par rapport aux couples et le recours à des statuts plutôt
qu’aux revenus effectifs pour déterminer les éventuels allocataires sociaux.
Dans la plupart des pays, les programmes d’aide
sociale ont tendance à donner davantage à un pauvre isolé qu’à des pauvres
vivant en couple. Plus exactement, deux isolés toucheront davantage qu’un
couple, pour tenir compte des économies d’échelle que permet la vie en couple :
il ne coûte pas beaucoup plus de chauffer
et même de loger deux personnes plutôt qu’une seule. Certains voient
dans cette approche une discrimination à l’égard de pauvres qui décideraient de
cohabiter. Cohabiter impliquerait en effet une perte de prestations. De là à
plaider pour l’individualisation des droits sociaux, il n’y a qu’un pas que d’aucuns
n’hésitent pas à franchir. C’est oublier, que toute individualisation conduit à
une autre discrimination, celle dont souffrirait le pauvre qui pour diverses
raisons demeure isolé. En fait le vrai motif pour pousser à l’individualisation
des droits sociaux est que l’on voit fréquemment des personnes vivant en couple
se faire passer pour des isolés. On a alors une discrimination à l’encontre des
couples qui refusent de procéder à de tels divorces stratégiques.
Par ailleurs, nombreuses prestations sociales sont
ciblées sur des statuts : celui de veuve, de sans emploi, ou d’allocataire
social, plutôt que sur les véritables ressources de l’individu, ce qui serait
sans aucun doute plus juste. Mais il se fait que le statut est observable, les
revenus le sont souvent beaucoup moins. Ainsi, un
ménage bénéficiaire du revenu minimum d'intégration ou du minimum vieillesse
peut bénéficier d'un tarif social pour le gaz et l'électricité. Un ménage ayant
un revenu inférieur à ces minima n'y a pas droit. Rien ne justifie cette
discrimination si ce n’est la difficulté de connaître les ressources des ménages.
En
d’autres termes une partie des imperfections de la politique sociale sont
imputables à la possibilité que certains allocataires ont de ne révéler
qu’imparfaitement leurs ressources ou leurs besoins.
Des millions de délaissés : émoi, aime-moi et moi !
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