jeudi 22 novembre 2012

Ne croyez pas (trop) ce que certains scientifiques vous racontent


Victor Ginsburgh

Les débats sur les effets de l’agriculture et de la viticulture biologique font rage. Comme les « études basées sur les études », aussi appelées meta-études, des sortes de compilations d’études existantes, sans aucun apport nouveau, si ce n’est du meta.

Pourquoi cette liaison ? Parce que les deux sont à la mode, mais surtout parce que deux meta-analyses d’études sur les bienfaits (ou méfaits) de l’agriculture biologique ont paru en l’espace de 18 mois, l’une, en avril 2011, écrite par des scientifiques de l’Université de Newcastle, Angleterre (1), l’autre par des chercheurs tout aussi scientifiques de l’Université Stanford, Etats-Unis, en septembre 2012 (2).

L’article du New York Times (3) qui résume le débat signale que l’étude anglaise n’a pas fait beaucoup de vagues. L’étude américaine, pratiquement basée sur les mêmes articles que l’étude anglaise, en a par contre fait, d’autant plus que ses conclusions contredisent celles de la première !

Pour être honnête, je préfère les conclusions américaines qui suggèrent que les aliments biologiques ne sont pas plus nutritifs que les autres, mais plus chers.

Cependant…

Cependant, d’une part le rapport américain ne tient aucun compte des pesticides utilisés dans l’agriculture traditionnelle, ni de leurs effets sur la santé des fermiers et sur l’environnement. Et les très altruistes acheteurs de produits biologiques prétendent qu’ils sont prêts à payer pour réduire ces effets.

Et d’autre part, les études de base sont utilisées différemment dans les deux meta-analyses. Il n’y a, disent les chercheurs qui utilisent ce genre de méthodes, aucune qui soit meilleure que les autres. Chaque groupe y prend un peu ce dont il veut se persuader, en utilisant les données de base à son avantage afin de jeter, par la même occasion, un pavé dans la mare de l’autre.

Les deux groupes annoncent quand même certains résultats comparables. Pour la plupart des vitamines et des éléments minéraux, il n’y a guère de différence entre biologique et traditionnel, si ce n’est, dans une des deux meta-analyses, un modeste accroissement en vitamine C dans les aliments biologiques. Les deux études trouvent aussi que les légumes biologiques contiennent plus de phénols, dont on pense qu’ils préviennent notamment les cancers, mais la meta-analyse de Stanford trouve le résultat peu fiable, parce que les gains en phénol décelés varient très fortement entre les études de base.

Mais surtout, la meta-étude de Stanford semble avoir confondu flavonols (que l’on trouve dans le cacao ou le thé vert et qui protègent aussi contre le cancer) et flavonoïdes, une classe plus large dont font partie les flavonols. Elle trouve que le contenu des flavonoïdes est identique dans les aliments biologiques et les autres. En fait, ce sont les flavonols qu’elle aurait, selon les auteurs de la meta-étude anglaise, dû prendre en compte. Cela ne change pas nos résultats disent les américains.

Il ne semble pas y avoir d’intervention de l’industrie dans ce débat, contrairement à celui dont Pierre Pestieau parle dans l’article qui précède. Il s’agit plutôt d’un débat entre des sçavants de Molière.

Le diable est dans les détails. Et maintenant, comme dit la marionnette qui représente Poivre d’Arvor dans le bébête show de Canal Plus, éteignez votre télévision.  Et surtout, n’écoutez plus et ne lisez plus les résultats de certaines études scientifiques.


 (1) K. Brandt, C. Leifert , Sanderson R, and C.J. Seal (2011), Agroecosystem management and nutritional quality of plant foods: The case of organic fruits and vegetables, Critical Reviews in Plant Sciences 30, 177-197.
(2) M. Brandt, Little évidence of health benefits from organic foods, Stanford Study finds, Voir http://med.stanford.edu/ism/2012/september/organic.html
(3) Kenneth Chang, Parsing of data led to mixed messages on organic’s food value, New York Times, October 15, 2012. Voir http://www.nytimes.com/2012/10/16/science/stanford-organic-food-study-and-vagaries-of-meta-analyses.html?_r=0

1 commentaire:

  1. " Le Center for Health Policy pour lequel l'auteure senior de l'étude de Stanford est "affiliée senior" http://healthpolicy.stanford.edu/people/publications/crystal_smithspangler/0/0/1/
    est une unité du Freeman Spogli Institute for International Studies (FSI) à Stanford. Un autre centre de ce dernier organisme, le Center on Food Security and the Environment, a notamment reçu un don de $5 millions sur 10 ans de Cargill (chiffre d'affaire de 120 milliards $ en 2010) qui est notamment spécialisée dans la fourniture d'ingrédients alimentaires…

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