Pierre Pestieau
Début novembre une
conférence sur le thème : Faut-il en
finir avec le principe de précaution ? a eu lieu à Paris. Les universitaires
se moquent souvent de journalistes et de leurs marronniers. Ils ont aussi les
leurs : régulièrement cette thématique du principe de précaution revient
avec des avis souvent diamétralement opposés alors qu’il s’agit d’un principe
de bon sens, qui me rappelle un sujet de dissertation qui remonte à mes années
de lycée. Il était tiré de Vol de Nuit d’Antoine
de Saint-Exupéry : « La grandeur de
ma civilisation, c'est que cent mineurs s'y doivent de risquer leur vie pour le sauvetage d'un seul mineur enseveli ».
J’étais fasciné par cette phrase mais surtout par son antithèse que je m’étais
fabriquée: « La grandeur d’une vie est de la sacrifier pour sauver celle
de cent mineurs ».
L’ouvrage Théorie de la Justice du philosophe
américain John Rawls (1) a été suivie d’un débat important sur l’arbitrage
entre progrès et respect de la vie. Selon Rawls, un des principes fondamentaux
de la justice est de mettre l’accent sur le bien-être des plus défavorisés.
Poussé à son extrême, ce principe interdit toute initiative qui pourrait augmenter
le bien être d’un grand nombre d’hommes sous prétexte qu’un seul pourrait y
perdre la vie.
Cette discussion
sur le principe de justice de Rawls précède celle du principe de précaution. Si
j’en crois Wikipedia, le Pic de la
Mirandole des temps modernes, ce principe est formulé pour la première fois en 1992 dans la Déclaration
de Rio qui a fait suite à une conférence sur l’environnement: « En cas de
risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de
mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement ».
Dans les trois principes
que je viens de citer (Saint-Exupéry, Rawls et Rio), je ne trouve pas gênant
qu’il y ait débat. Ce qui l’est en revanche, c’est de voir des lobbys plus ou
moins déclarés s’en emparer pour défendre des intérêts financiers ou politiques
on ne peut plus partisans. On vient encore de le voir dans le débat sur les
médicaments nocifs, les OGM ou sur l’avenir du nucléaire.
Suite à
l'affaire Médiator, le grand public a
pris conscience de l'emprise des firmes pharmaceutiques sur l'information à
propos des médicaments. Les firmes mettent en valeur les effets thérapeutiques bien
plus que les effets indésirables et un produit peut rester longtemps en
pharmacie alors qu'il est dangereux. Le débat plus récent sur le rapport Seralini
de l’Université de Caen sur de la nocivité des OGM a mis en évidence
cette asymétrie entre les recherches partisanes financées par l’industrie, en
l’occurrence Monsanto, et les recherches prétendument objectives que tentent de
mener des associations de consommateurs et autres groupes indépendants. Le
débat sur le nucléaire me semble plus complexe aussi longtemps que l’on s’inscrit
dans la logique du toujours plus.
L’ouragan
récent Sandy (2) nous remet ces beaux principes à l’esprit. L’image de Staten Island
(3), dévastée par la tempête, et les eaux dans le pays le plus riche du monde,
dans la ville qui fait rêver la terre entière, était désolante. Les pertes de
vies humaines et les dégâts matériels énormes auraient pu être évités au nom du
principe de précaution, mais cela aurait privé de nombreux sauveteurs d’illustrer
la réflexion de Saint Ex.
Le
monde est décidemment trop compliqué.
(1) John Rawls, A Theory of Justice, Harvard University Press,
1971.
(2) Qui a
sans doute fait moins de dégâts que l’ouragan Stéphanie qui s’est abattu sur la
France en 1986 (réflexion pour les amateurs de chanson française).
(3) Un des cinq
arrondissements (borough) de la ville de New York.
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