Pierre Pestieau
On sait que la phrase légendaire d’Astérix
« ils sont fous ces Romains » vise dans l’inconscient collectif français
les Américains, ou plus généralement les peuplades qui vous dominent, que l’on
hait et jalouse avec la même constance.
On l’utilise surtout quant on se trouve devant une situation incompréhensible:
des musées gratuits, des files ordonnées devant les guichets, des coupures d’électricité
fréquentes dans la capitale du pays qui est encore le plus puissant du monde.
On pourrait très bien la ressortir à propos de la fameuse falaise fiscale (fiscal cliff) dont la presse a beaucoup
parlé à l’occasion de l’élection présidentielle et dont elle reparlera lorsque
l’échéance se rapprochera.
De quoi s’agit-il? D’une méthode fort
originale de résoudre un conflit. Originale parce qu’il faut des institutions
et des traditions solides pour qu’elle soit crédible. Typiquement, elle peut
être utilisé lorsque deux
camps ne s’entendent pas sur une question; ils s’accordent alors sur une
solution temporaire, tout en sachant que, dans peu de temps, ils se
retrouveront dans une situation encore plus difficile qui les obligera cette
fois à un compromis durable.
L’exemple le plus parlant de cette méthode
est l’accord fiscal obtenu en 2001 par G.W. Bush pour alléger la pression fiscale pesant sur les ménages et les
entreprises américaines et limiter les dégâts de l’effondrement de la bulle des
dotcom. Les démocrates qui avaient la
majorité au sénat s’y opposaient. Pour obtenir leur accord, il avait été décidé
que les allègements disparaîtraient au bout de 10 ans. Ainsi de 2001 à 2011 les
droits de succession ont diminué de 10% chaque année. Le 31 décembre 2010, ils
avaient disparu et le 1er janvier 2011 ils retrouvaient leur niveau de 2001.C’était
intolérable pour les Républicains certes, mais aussi pour les démocrates qui
trouvaient le minimum taxable beaucoup trop faible suite à l’inflation et à la
croissance de la décennie écoulée. Il fallait trouver une solution. Obama qui
n’avait pas la majorité à la Chambre des représentants et qui, de surcroit,
avait besoin de l’accord des républicains pour relever le plafond d’endettement
autorisé, accepta un nouveau compromis qui vient à échéance le 31 décembre 2012. Les droits
de succession ont été fort allégés puisque pour un couple le seuil d’imposition
est maintenant de 10 millions de dollars. Qu’arrivera-t-il à l’échéance, d’ici
six semaines ? C’est cette situation qui a été qualifiée de falaise ou
plus exactement de précipice fiscal. En effet si aucun accord n’est trouvé les
dépenses publiques seront réduites et les recettes augmentées de manière
équilibrée afin de diminuer les déficits publics (plus de $7.000 milliards en 10 ans), et de
réduire de manière substantielle la dette publique. Si elle devait être
appliquée en l’état, cette politiqué précipiterait l’Amérique dans une profonde
récession, d’où l’expression de précipice.
Si Obama avait réussi à regagner la majorité à la chambre des
représentants, il aurait pu imposer une solution davantage soucieuse d’équité.
Comme il a besoin de l’appui des Républicains dont certains ne veulent pas
entendre parler d’augmentation des impôts, ce compromis sera dur mais inévitable.
On peut en effet se dire que les républicains, particulièrement ceux du Tea Party, sont extrémistes mais pas
suicidaires.
Il n’en demeure pas moins que cette méthode en deux temps pour obtenir une
solution difficile, est intéressante. On pourrait peut-être l’utiliser pour
résoudre les problèmes institutionnels belges, pour réformer la sécurité
sociale française, pour démêler l’imbroglio palestinien ? Cela vaut la
peine d’y réfléchir. Nous deviendrions alors nous aussi des fous romains.
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