Pierre
Pestieau
Gérer autrement
Dans un
rapport (1) diffusé récemment et intitulé Gérer les enseignants autrement, la Cour des comptes française
présente une analyse qui semble sortir tout droit d’une des nombreuses études
consacrées par les économistes à la performance de l’éducation nationale et
plus généralement des services publics. On y trouve des affirmations banales
pour les économistes mais terriblement dérangeantes pour une bonne partie de l’opinion
et en première ligne les enseignants. Notamment : « Le ministère de l’Education ne souffre pas d’un manque de moyens budgétaires
ou d’un nombre trop faible d’enseignants mais d’une utilisation défaillante des
moyens existants ». Autrement dit, on peut faire mieux à coût égal. Le
rapport signale toute une série de dysfonctionnements qui sont autant de marges de manœuvre qui pourraient servir à
revaloriser les enseignants, rétribués en dessous de la moyenne européenne
hormis en fin de carrière. Ce qui me frappe dans ce rapport n’est pas le
contenu mais ses auteurs : des magistrats. C’est à croire que ceux qui désespèrent de voir la
performance de l’Etat providence s’améliorer au travers de reformes entreprises
ailleurs (dans les pays nordiques en particulier) devraient s’appuyer sur des
magistrats qui peut être possèdent plus de prestige et d’autorité que les
experts universitaires ou les cabinets de conseil privés.
Mobilité
cognitive
Depuis la chute du rideau de fer, plus de 10% des mathématiciens
de l’ancienne URSS ont émigré. Beaucoup, surtout les meilleurs, ont été
accueillis aux Etats-Unis. Cet afflux soudain aurait obligé les mathématiciens
américains d’émigrer à leur tour non pas dans l’espace géographique mais dans l’espace
des idées. C’est ce que Borjas et Doran (2) appellent de la mobilité cognitive :
Un phénomène qui doit se produire lors d’un afflux massif de scientifiques ou d’artistes
de haut niveau ?
Ce que les
Belges préfèrent
Parmi les messages publicitaires électroniques que j’ai
reçus récemment, il en est un qui a retenu mon attention. Il s’intitulait Le chèque repas : l’avantage extra-légal
préféré des Belges. Une économie de 56% par rapport à du salaire. Après une
première réaction visant à me désinscrire, je me suis interrogé sur l’ironie de
ce message ; c’est un peu comme si le syndicat du crime publiait dans tous
les journaux Le cannabis : drogue préférée
des Belges. Car on ne le répètera pas assez les chèques repas et autres
voitures de fonction sont un poison pour notre fiscalité. Ils réduisent la base
de l’impôt et conduisent à des taux d’imposition prohibitifs. Si l’on pouvait
supprimer ces niches fiscales, nous aurions une fiscalité plus efficace et plus
équitable.
Frilosité
mortifère
Un thésard camerounais rencontré il y a un an avait
obtenu une bourse pour passer un semestre dans le département d’économie de l’Université
de Liège. Il attendait beaucoup de cette première expérience hors d’Afrique.
Malheureusement malgré ses nombreux efforts, il n’a pas reçu le visa qui lui
aurait permis de nous visiter. Son
séjour aurait été financé par un organisme de coopération international ;
son retour au pays après six mois était garanti. Pourquoi tant de frilosité ?
La Belgique a tout à y perdre.
Des chiffres
à tout prix
Le 24 mars tous les journaux du pays ont publié la même
nouvelle fracassante : L’économie au noir estimée à 63 milliards en
Belgique. Elle représenterait aujourd’hui 16,4% du produit intérieur brut, un
peu moins que les 17,8% de 2009, mais beaucoup plus que les 9,7% « observés »
en France. Et le ministre en charge de la lutte contre la fraude fiscale de se
féliciter de cette diminution. Il déclarait aussitôt : « Nous sommes
sur la bonne voie ». J’ai déjà eu l’occasion dans ce blog d’expliquer
pourquoi ces chiffres sont hautement fantaisistes, ce qui ne veut pas dire qu’il
n’y pas d’économie au noir en Belgique. Quelle en est l’importance ?
Est-elle en hausse ? Est-elle plus élevée qu’en France ? On ne le
sait pas et si vous voulez une réponse adressez-vous plutôt à Mme Soleil ou
autre voyante qu’à cet expert qui fournit des estimations au dixième de pour
cent près.
Frugalité et morale
Militant et collecteur de fonds, l’américain Dan Pallotta dénonce les
obstacles dont souffrent les organisations caritatives, obstacles qui les empêchent
de réaliser leurs missions. Il nous rappelle dans un clip que je vous
recommande (3) que les contributions charitables ne représentent que 2% du PIB
américain et que ce taux n’évolue pas depuis plusieurs décades. Il voit la raison
majeure de cette stagnation dans leur culture de la frugalité : peu de
frais généraux, faibles rémunérations des gestionnaires, campagnes
publicitaires minimales. Il reproche au secteur philanthropique d'assimiler la frugalité à la morale,
et il lui demande d’abandonner cette approche de patronage.
Pas un seul mot sur la possibilité de s’appuyer sur l’Etat pour remplir ces
missions que sont la lutte contre la pauvreté, le financement de la recherche
fondamentale , la protection de l’environnement et le soutien à la production
artistique. On croit rêver.
Cela me ramène à une anecdote. Il y a une quinzaine d’années un de mes amis
collectait des fonds pour la recherche consacrée à la lutte contre la pauvreté
et la faim dans le Tiers Monde. Il recevait à Liège les donateurs potentiels
dans les meilleurs restaurants de la ville. Souvent ils venaient d’agences de développement
de pays nordiques. Et il m’invitait parfois à ces agapes. Devant mon étonnement
devant ces dépenses de table pour obtenir des fonds pour lutter contre la faim,
il m’expliquait patiemment que par expérience les contributions qu’il recevait étaient
fonction de la générosité de son accueil, plus précisément de la qualité des
vins et des plats. C’était sans doute vrai en l’occurrence mais ne me rassurait
guère.
(1)
<http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Gerer-les-enseignants-autrement>
(2) George Borjas et Dirk Doran (2013), Cognitive mobility: labor market
responses to supply shocks in space of ideas, NBER Working Paper 18614
(3) <http://www.ted.com/talks/dan_pallotta_the_way_we_think_about_charity_is_dead_wrong.html>
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