Victor Ginsburgh
« Tuer un homme, ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un
homme » (Antoine Compagnon, Le Monde,
16 janvier 2015).
L’immédiateté n’est pas toujours bonne conseillère. Quelques semaines à
peine après Charlie, et le soufflé
des quatre millions s’essouffle. Les quelques jours qui ont suivi les
assassinats ont déjà montré que les Charlie sont morts plusieurs fois pour
rien, parce que leur mort a été volée. Mais ils continuent de rire où ils se trouvent
La première fois, quand certains qui se croient démocrates défilent parmi
les quatre millions de Français et se faufilent au premier rang, dont
Netanyahou, bien évidemment. D’autant plus surprenant « qu’en Israël, Charlie Hebdo n’aurait pas même eu le
droit d’exister, puisqu’une loi israélienne interdit de représenter Moïse,
Jésus ou Mohammed d’une manière qui pourrait heurter les sentiments des
croyants » (1). Mais qu’est-ce qu’il foutait là ce monsieur (avec
un m très minuscule)?
Faire appel à la peur que semblent éprouver certains Juifs français de
vivre en France et leur proposer de s’exiler en Israël ; s’arranger pour faire
enterrer en Israël les Juifs assassinés à l’Hyper Casher — comme si on pouvait
être en même temps hyper et casher. Bien joué politiquement, il sera sûrement
réélu.
La deuxième fois quand tous les grands de ce monde, y compris MM. Hollande,
Obama, le Roi de Prusse et consorts se sont rendus en Arabie Saoudite pour
présenter leurs condoléances et faire allégeance à celui dont le père venait de
faire exécuter « quelques » personnes, dont une femme décapitée en
public à La Mecque à la mi-janvier 2015 (2). Les dignitaires n'ont pas voulu serrer la main de Mme Obama. C’est l’état des Droits Humains dans
cette partie du monde (et aussi ailleurs).
Enfin le coup de grâce de la troisième fois, pour autant que le mot soit
lié à « gracieux » ce qui est bien le cas. Et ceci ne s’est pas passé
en Arabie Saoudite, mais très près de chez nous.
A Clichy-la-Garenne, en France républicaine (3), le 24 janvier 2015, une
exposition est ouverte avec des œuvres de dix-huit femmes artistes. Dont l’Algérienne
Zoulikha Bouabdellah et son œuvre Silence,
représentée dans la photo ci-contre. Silence
représente des « tapis de prière alignés, un cercle découpé dans chacun et
dans chaque cercle, une paire d’escarpins » (4) à talons hauts. Bien
entendu, femme, tapis de prière, talons hauts font mauvais ménage. L’œuvre a
été retirée, avec l’« accord » de l’artiste (qui n’était sûrement pas
d’accord) « afin d’éviter toute polémique et récupération au sujet de la
présentation de cette installation qui ne représente aucun caractère blasphématoire ».
Avec l’accord et oserais-je dire, la bénédiction, du maire socialiste de la
ville de Clichy-la-Machin (5).
Les autorités du Festival de la BD d’Angoulême (qui vient d’avoir lieu) ont
montré un peu plus de poil au c… (si on peut s’exprimer ainsi, face à la mort.
Oui aurait dit Charlie). Ils ont non seulement donné un prix spécial,
malheureusement posthume aux dessinateurs de Charlie Hebdo, mais ont aussi créé un « prix de la liberté
d’expression » qui sera décerné chaque année. Ce qui ne veut pas dire que
le maire UMP d’Angoulême en a du poil. C’est lui qui avait fait installer des
grillages autour des bancs publics de sa ville pour empêcher les clodos et
sans-abris de s’y reposer. Mais où sont les bancs publics d’antan de Brassens ?
Qui était sûrement Charlie aussi.
Comme Mme Taubira, à la fin de son discours (6), répétons tous les jours
ces mots de Paul Eluard :
« Tu rêvais d’être libre, et je te continue ».
(1) Ido Amin, In Israel, Charlie Hebdo would not even had the right to
exist, Haaretz, January 12, 2015.
Voir http://www.haaretz.com/misc/article-print-page/.premium-1.636511?trailingPath=2.169%2C2.223%2C
(3) Notez les deux hexasyllabes qui riment et forment (à une syllabe près),
un alexandrin !
(4) Philippe Dagen, A Clichy, « Silence » fait du bruit, Le Monde, 29 janvier 2015.
(5) Face à l’absence de soutien du maire (qui est toujours encore
socialiste, mais deviendra sans doute FN bientôt) les artistes ont pris la
décision de décrocher l’exposition le 9 février. Voir Libération, 3 février 2015 http://next.liberation.fr/arts/2015/02/03/l-exposition-femina-de-clichy-va-etre-decrochee-a-la-demande-des-artistes_1194141?xtor=EPR-450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot
(6) Voir le discours de Christiane Taubira, Garde Des Sceaux, sur
Merci pour cette publication.
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