Pierre Pestieau
Les Anglais ont de tous temps appelé
leurs droits de
succession un impôt pour les stupides, l’idée étant qu’avec une
bonne ingénierie fiscale et une masse critique de patrimoine on pouvait y échapper
totalement Il conviendrait de s’interroger sur les sens ambigus du mot
‘stupide’ : ignorant, honnête, naïf. En l’occurrence, on pourrait choisir
de passer pour stupide. C’est comme dans le fameux Diner des cons, à la fin duquel on préfèrerait être rangé parmi les
cons. Pour revenir à notre sujet, au Royaume Uni comme dans les pays où ils
continuent à exister, les droits de succession sont devenus un impôt pour les
classes moyennes. Les pauvres sont par définition en dessous de la base
imposable et les riches s’arrangent pour ne pas les payer. Aujourd’hui la plupart
des citoyens ont la nette impression que la stupidité est contagieuse en s’étendant
à toutes les autres formes d’impôts.
La vie ou l'évasion fiscale |
Quand on voit les révélations récentes qui ont nom Luxleaks et Swissleaks,
on s’aperçoit que les gouvernements et les grandes banques organisent de façon
éhontée l’évasion fiscale pour les non-stupides. Le Luxembourg est accusé d’encourager l’évasion fiscale en permettant à 340 multinationales de minimiser leurs impôts par
des accords fiscaux secrets. Ces révélations ont fait réagir vivement de nombreux pays. Pourtant le Grand-Duché
n’est pas le seul à mettre en place cette forme de mécanismes. La Belgique, avec ses intérêts notionnels, son traitement favorable
des donations entre vifs et son système de décisions anticipées (rulings), n’est-elle pas aussi un paradis fiscal ? Le traitement des donations permet a des
étrangers riches de s’installer quelques années en Belgique et de liquider au bénéfice
de leurs héritiers l’essentiel de leur patrimoine avant de regagner la mère
patrie. On a assez parlé des intérêts notionnels, dont les principaux
bénéficiaires sont les grosses firmes étrangères. Enfin le système des rulings
permet aux contribuables et aux candidats investisseurs d’obtenir une décision
anticipée et souvent extrêmement favorable portant sur l’application des lois
fiscales aux opérations et aux situations qu'ils envisagent. Cette décision
anticipée engage juridiquement l'administration vis-à-vis du contribuable et
est valable pour 5 ans.
Comment expliquer cette situation insupportable?
D’abord on entend souvent parler de la complexité du système fiscal dans un
monde ouvert et peuplé de paradis fiscaux. C’est sans doute vrai ; on peut
parier que la plupart de nos ministres des finances n’y comprennent que dalle. Ensuite,
on invoque la course sans fin entre fraudeurs et évadés et les autorités
fiscales nationales. Les premiers auraient toujours une longueur d’avance sur
les secondes. Enfin, on ne peut s’empêcher de penser qu’il existe une certaine connivence
entre les milieux politiques, la médiacratie et le monde des grands fraudeurs.
Pour prendre un simple exemple, j’entendais l’autre jour sur une radio de
grande écoute un animateur connu se plaindre du harcèlement dont serait victime
le comédien Gad Elmaleh, qui
aurait confie la « modique » somme de 80.000 euros à la filiale suisse de HSBC entre
2005 et 2007. Selon cet animateur, à quoi bon faire
autant de foin pour un montant somme toute modique. Certainement modique par
rapport aux 80,6 milliards d'euros, qu’aurait fraudés cette banque. Mais pas
modique du tout pour la grande majorité des Français qui doivent travailler 3
ans ou plus pour la gagner.
Deux anecdotes pour terminer. Il y a plus de 40 ans j’ai
fait la connaissance du professeur Max Frank de l’Université de Bruxelles. Il était
à la fraude fiscal ce que les époux Klarsfeld étaient aux anciens nazis :
un chasseur impitoyable. Chaque année
il publiait ses estimations de la fraude fiscale, plutôt fantaisistes il est
vrai, mais surtout il dénonçait les pratiques de nos banques qui dans leurs
grosses agences offraient un accueil spécial pour les contribuables qui
voulaient placer leur précieux argent au Luxembourg (c’était avant
l’introduction du précompte libératoire). On le voit HSBC n’a pas innové.
L’autre jour je me trouvais dans un restaurant où à une table voisine des
clients se restauraient en compagnie de leur chien. En sortant je me suis
plaint auprès du propriétaire de cette promiscuité canine ; il me répondit :
« Je voudrais bien interdire les
animaux mais j’ai déjà si peu de clients ». On a l’impression
d’entendre un de nos ministres des finances avouant qu’il préférerait éviter
les rulings mais qu’il est obligé de
le faire puisque les pays voisins le font aussi.
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