Victor Ginsburgh
Il y a d’abord eu l’illustre discours du non moins illustre Netanyahou prononcé
devant le Congrès américain en mars 2015 contre les accords avec l’Iran. Ce
discours a non seulement fait pschitt, mais il a aussi décousu le fragile
accord entre Juifs américains qui soutenaient encore la politique israélienne
au Moyen-Orient.
Il y a ensuite la manière peu subtile dont le subtil Netanyahou croit
résoudre la révolte qualifiée de « légitime » par Zeev Sternhell dans
son article du Monde (1) et qu’il
conclut comme suit :
« Le
sionisme classique s’est fixé pour tâche d’offrir un foyer au peuple juif. Le
temps qui a séparé la guerre d’indépendance de la guerre des Six Jours a montré
que tous les objectifs du sionisme pouvaient être réalisés à l’intérieur du
tracé de la ligne verte. La seule question sensée est de savoir si la société
israélienne a encore la capacité de se réinventer, de sortir de l’emprise de la
religion et de l’histoire et d’accepter de scinder le pays en deux Etats libres
et indépendants. »
Il y a enfin l’indicible
bêtise de Netanyahou dans sa tentative de faire croire au monde que la Shoah
avait été suggérée à Hitler en 1941 par Hajj Amin al-Husseini, le grand Mufti de Jérusalem
de 1922 à 1937. Il est vrai que Husseini était notoirement antisémite et a
rencontré Hitler et Ribbentrop en 1941. Mais la « suggestion » de
Netanyahou a été dénoncée par tous les historiens sérieux, y compris par
l’historien principal du Yad Vashem (Musée de la Shoah) à Tel Aviv qui
considère que les mots prononcés par le premier ministre sont
« complètement faux » (completely
erroneous on all counts) (2). Ils ont eu pour seule conséquence d’enflammer un
peu plus le conflit actuel entre Israéliens et Palestiniens (3), (4).
Heureusement, il en est de plus en plus qui envoient leur démission à
l’Etat d’Israël. Il y aurait récemment eu plus de départs d’Israël que d’arrivées
de migrants juifs, mais les chiffres de sorties définitives sont difficiles à
trouver, sinon confidentiels (5).
Voici un appel au boycott d’Israël par deux juifs américains, l’un est
professeur à Harvard et l’autre à l’Université de Chicago (6) :
« Nous avons toujours été
sionistes. Mais nous avons décidé de boycotter Israël… Nous savons que certains
avocats du boycott sont poussés par leur opposition à, voire leur haine envers,
Israël. Notre motivation est différente : nous aimons Israël et voulons
sauver le pays. »
La fin est peu trop romantique à mon goût, mais soit.
Voici aussi la très belle lettre de démission écrite par Bradley Burston,
journaliste américano-israélien à Haaretz
(7) :
« J’ai vécu en Israël
pendant des dizaines d’années. J’ai été membre de la tribu que nous appelons juive
durant toute ma vie. Dans le passé, nous étions confrontés à des gens qui
voulaient voir disparaître Israël. Je ne mentirai pas. Aujourd’hui je me
focalise sur autre chose, je veux que ceux que j’aime survivent. Et pour ce qui
est à venir, je me demande comment ma tribu va continuer à vivre sans chef,
sans sécurité, sans plan, sans espoir.
« J’ai eu des jours où je
me disais : Pourquoi ne pas démissionner de la tribu ? Je reçois
beaucoup de lettre de Juifs qui me recommandent de le faire. Ils me disent que
mon nom n’est pas assez juif, que ma pensée politique n’est pas assez sioniste,
que mes plaintes à propos d’Israël sont telles que je devrais quitter le pays,
que je devrais mourir.
« Il est peut-être temps
que je les écoute. Je devrais-je démissionner de la tribu dont ils font partie
et réaliser enfin que pendant tout ce temps, j’ai fait partie d’une autre
tribu. Pas opposée, juste différente.
« Peut-être est-il temps pour
moi de réaliser que les tribus de la Terre Sainte ne sont pas simplement les
ennemis mortels que nous appelons Juifs et Arabes. Peut-être y a-t-il une autre
tribu qui aime ce pays si profondément qu’elle est prête à trouver une façon de
partager ce pays entre les peuples qui y vivent. Une tribu qui veut voir la
renaissance droits humains et le rétablissement la démocratie contre la
dictature imposée par la religion.
« Voici donc ma lettre de
démission de cette première
tribu, une lettre que je dépose ici, parce que ma
tribu manque d’un chef auquel je pourrais l’envoyer :
Check point à Jérusalem Est |
« Par cette lettre, je
démissionne de la tribu qui pense que tuer un peuple désarmé est une forme d’auto-défense
et que ceux qui la pratiquent sont des héros.
« Je démissionne de la
tribu qui pense que les autres sont des monstres, des animaux, qui veulent
notre sang et notre terre et ne méritent pas d’avoir leur propre pays.
« Je démissionne de la tribu
qui dit que les colons ne sont pas des êtres humains et peuvent être assassinés.
Je démissionne de la tribu qui dit que tout Juif doit être poignardé parce que
Juif.
« Je démissionne de la
tribu qui crie Mort aux Arabes, de cette tribu qui pense que c’est une vertu de
haïr les Arabes.
« Je démissionne de la
tribu qui pense que les enfants palestiniens suspectés d’avoir jeté des pierres
devraient être tués sur le champ.
« Je démissionne de la
tribu qui jette l’opprobre sur les Palestiniens en les accusant d’avoir
provoqué la Shoah.
« Je démissionne de la
tribu qui dit : Nous allons détruire les maisons des familles de ceux que
nous soupçonnons de terrorisme, mais uniquement les maisons des Palestiniens, jamais
celles des [terroristes] Juifs. Je démissionne de la tribu, pas seulement parce
que je crois que ce rituel est injuste et immoral et que la punition est collective.
Je démissionne aussi parce que cela ne fonctionne pas, cela ne fait que
provoquer un cercle vicieux plus large, plus profond et encore plus vicieux.
« Peut-être devrais-je quitter
ce lieu pour comprendre ce que je perds en le quittant. Mais parfois, aussi, il
faut y revenir pour apprécier ce qui s’y trouve encore et ce qui pourrait y
réapparaître.
« Oui, je démissionne.
Mais je garde quand même certaines choses. En particulier, et pour ce qu’il
vaut, je garde mon nom, [et je signe] Bradley Burston. »
Si Bradley Burston m’y autorise, je cosigne.
Ce soir arrive mon ami de l’Université de Tel Aviv, rencontré pour la
première fois en 1974 : nous avons deux articles à terminer.
(1) Zeev Sternhell, La révolte
des Palestiniens est légitime, Le Monde,
13 octobre 2015. Sternhell est professeur de science politique et d’histoire à
l’Université hébraïque de Jérusalem, membre de l’académie israélienne des
sciences et lettres et prix Israël en 2008. http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/10/13/la-revolte-des-palestiniens-est-legitime_4788162_3232.html
(2) Ofer Aderet, Yad Vashem’s
chief historian on Hitler and the Mufti: Netanyahu had it all wrong, Haaretz, October 22, 2015. http://www.haaretz.com/israel-news/.premium-1.681718
(3) Voir notamment Odeh Bisharat, Apologies to the Fuhrer, Haaretz, October 22, 2015
(4) Est-ce que vraiment Netanyahou
dont le père était un historien renommé est tombé dans le piège ? On a des
doutes. Il a bêtement répété une histoire inventée de toutes pièces en mars
2015 par un obscur « philosophe » du nom de Joseph Spoerl de St.
Anselm College dans le New Hampshire écrite pour un think tank israélien de
droite, dirigé par une confidente de Netanyahou. Ce texte est semble-t-il vide
de références historiques, à l’exception de la rencontre entre le Mufti et
Hitler en 1941. Voir Chemi Shalev, Adelson-linked think tank article preceded
Netanyahu’s Hitler-Mufti clai, Haaretz,
October 24, 2015
(5) Voir Wikipedia, Demographics
of Israel, https://en.wikipedia.org/wiki/Demographics_of_Israel#Net_migration_rate
Voir
aussi Danièle Kriegel, Israël s’inquiète de la fuite de ses cerveaux, Le Point,
15 septembre 2015
(6) Steven Levitsky and Glen Weyl, We are lifelong zionists.
Here’s why we’ve chosen to boycott Israel, The
Washington Post, October 23, 2015.
(7) Bradley Burston, I left
Israel for two weeks. I came home to a different country, Haaretz, October 22, 2015.
https://www.washingtonpost.com/opinions/a-zionist-case-for-boycotting-israel/2015/10/23/ac4dab80-735c-11e5-9cbb-790369643cf9_story.html
Quel beau texte ! Merci Victor.
RépondreSupprimerEtienne
Merci Victor and Go to hell please.
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