Pierre Pestieau
En Belgique comme ailleurs, les milliardaires font de temps
en temps la une
des journaux malgré eux. Car leur désir le plus intense est de rester caché pour reprendre le titre de
l’excellent film d’Hanneke. Je ne parle pas ici des fortunes tapageuses et
sulfureuses des riches Russes qui flambent leur agent noir sur la Côte d’Azur,
ni des vedettes du ballon rond, de l’écran ou de la chanson qui aiment afficher
leur réussite auprès d’admirateurs souvent sans le sou. Malheureusement on ne dispose
que de peu de données pour connaître la concentration de la richesse. Il y a l’enquête
récente de la Banque Centrale Européenne, qui est la seule source fiable en
Belgique. Il y a par ailleurs des données que nous livre la presse sur les
grandes fortunes. Ces données sont rarement crédibles; elles frappent
l’imagination quand elle sont présentées sous le titre tapageur du type : Les 30 familles qui contrôlent le pays.
En l’espèce, les données du magazine américain Forbes sont sans doute les plus dignes de foi. Dans sa dernière
livraison, Forbes nous annonçait que
3 Belges figuraient parmi les milliardaires de ce monde. En dollars américains,
on comptait par ordre décroissant Albert Frère avec 4,9 milliards, Paddock
Chodiev avec 2 milliards et Marc Coucke avec 1,47 milliards. Les choses vont
vite. En 2010 quand l’enquête de la BCE a été menée, Albert Frère était le seul
milliardaire belge repris dans le classement Forbes et sa fortune s’élevait seulement à 1,92 milliards d’euros
(2,4 milliards de dollars). Excusez du peu.
Comment concilier une enquête telle que celle de la BCE
et les données de
Forbes ou toutes autres données ponctuelles fournies par les magazines économiques ?
C’est ce qu’a tenté de faire récemment un économiste de la BCE (1). Il note
d’abord pour la dizaine de pays qu’il étudie que les plus riches sont souvent
absents de l’enquête européenne. La Belgique est le pays où l’écart entre la
richesse la plus élevée dans l’échantillon de la BCE (8 millions d’euros) et la
seule richesse répertoriée dans Forbes
(1920 millions), qui est celle d’Albert Frère. L’objectif
de cette recherche est d’intégrer les milliardaires de Forbes dans la distribution du patrimoine. Cela revient à compléter
la partie supérieure de la distribution afin de mieux cerner la concentration
du patrimoine. Alors que selon l’enquête BCE, la part possédée en Belgique par
le 1% des plus riches est égale à 12%, elle passe à 17% si l’on introduit les données
de Forbes. Par comparaison, la
fraction de riches possédant plus d’un milliard avant/après correction est de 18/19%
en France, 24/33% en Allemagne et 34/37% aux Etats Unis. Clairement l’échantillon
français est beaucoup plus représentatif des riches que l’échantillon belge.
Ce qui frappe en effet dans cette étude est la modestie de la richesse la
plus élevée des Belges repris dans l’enquête de la BCE. On devine sans peine
qu’il y 5 ans, il y avait un certain nombre de Belges possédant plus de 8 millions
d’euros. Il y a évidemment un problème d’échantillonnage que d’autres pays ne
connaissent pas puisque dans certains d’entre eux, la richesse la plus élevée
dans l’enquête de la BCE est supérieure au milliard.
On notera que par comparaison la Belgique compte peu de
milliardaires selon le classement de Forbes : 3 pour 11 millions
d’habitants en 2015. Les pays qui comptent le plus grand nombre de
milliardaires par habitant sont par ordre décroissant : 1. Monaco (3/35.427) ; 2. Saint Kitts et Nevis (1/53.051) ;
3. Guernesey (1/65.573) ; 4. Hong Kong (39/7,1 millions) ; 5. Belize
(1/356.600) ; 6. Chypre (3/1,1 million) ; 7. Israël (17/7,8 millions) ;
8. Singapour (10/5,2 millions) ; 9. Koweit (5/2,8 millions) ; et 10.
Suisse (13/7,9 millions). Sans surprise, ce sont tous des (quasi) paradis
fiscaux.
(1) Philip Vermeulen, How fat is the top tail
of the wealth distribution? BCE Working Paper # 1692 , 2014
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